ARCHITECTURE (Thèmes généraux) Architecture et société
À côté des impératifs esthétiques et techniques, les problèmes d'usage occupent une place importante au sein de la discipline architecturale. Constitutive de l'espace urbain, présente en des points névralgiques du territoire qu'elle contribue à structurer, l'architecture possède une portée sociale qui transcende les spécificités de telle ou telle commande ; elle est inséparable d'une prise en compte des pratiques et des stratification de la société. Dans bien des cas, cette prise en compte ne se borne pas au seul constat de la situation existante. Le projet se pare en effet d'une dimension volontariste qui peut contribuer à modifier l'ordre dominant, que ce soit pour le parachever, le réformer ou le renverser. L'architecture se révèle alors porteuse d'enjeux qui dépassent le cadre des formes et de leur évolution. Longtemps implicites, ces enjeux sont clairement perçus et théorisés à la Renaissance quand apparaît l'architecte humaniste moderne. Au xve siècle, les réalisations de Filippo Brunelleschi ou les écrits de Leon Battista Alberti contribuent à faire émerger la question des relations entre architecture et société. Celle-ci va recevoir par la suite toutes sortes de réponses. Ce sont certaines de ces réponses que nous voudrions évoquer, dans la mesure où elles permettent d'éclairer les termes du débat contemporain.
Le projet humaniste
L'architecture de la Renaissance italienne s'accompagne dès le départ d'une réflexion politique et sociale. La coupole de la cathédrale de Florence conçue par Brunelleschi veut magnifier le pouvoir de la cité ainsi que l'excellence de ses institutions. Celles-ci sont aux mains d'une oligarchie patricienne imprégnée par les conceptions humanistes, une oligarchie qui veut faire de sa ville une « nouvelle Rome » où le prestige culturel irait de pair avec une rationalisation de la production et des échanges. L'œuvre de Brunelleschi peut se lire comme la recherche d'un cadre architectural et urbain adapté à cette ambition de rationalisation. Son exploration des techniques de perspectives instaure un espace de relations mesurables entre les objets bâtis comme sont mesurables les quantités manipulées par le commerce. L'emploi d'un vocabulaire à l'antique à la fois rigoureux et fécond participe du même dessein. La raison humaine doit triompher dans les arts comme elle triomphe déjà dans les affaires de la cité. Dans le même ordre de préoccupations, il n'est pas interdit de rêver à des entreprises autrement plus radicales que la réalisation de tel ou tel projet, entreprises qui verraient se substituer à la ville historique, marquée par les accidents de son développement, une ville idéale conçue en fonction des seules exigences de la raison. Tel est le pas que franchit parmi bien d'autres Filarète (1400-1469 environ), lorsqu'il consigne sur le papier le plan d'ensemble et le détail des principaux édifices de Sforzinda dans les années 1460, une ville imaginaire dont la régularité tranche sur le dédale de la structure urbaine médiévale.
La réflexion politique et sociale s'approfondit dans l'œuvre de théoricien d'Alberti. Les règles données dans son De re ædificatoria concernent aussi bien l'architecture que la société dont elle doit satisfaire les besoins. Il s'agit pour lui de rechercher une harmonie des formes et des usages en ayant recours au vocabulaire antique sans pour autant tomber dans une imitation servile. Théorie architecturale et ambition critique vont de pair chez un penseur que son itinéraire a confronté à la diversité des situations politiques de la péninsule italienne, de Florence à Rome. Avec Alberti achèvent de se préciser en outre les relations entre l'architecte et le pouvoir que tentait déjà d'établir un Brunelleschi. Investi[...]
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Écrit par
- Antoine PICON : professeur d'histoire de l'architecture et des techniques à la Graduate school of design de l'université Harvard, Cambridge, Massachusetts (États-Unis)
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