Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

ARCHITECTURE (Thèmes généraux) Architecture et société

Vitruvianisme et société d'ordres

Au cours de l'Âge classique, les cités indépendantes, dont Florence avait constitué l'un des exemples les plus achevés, voient progressivement leur influence diminuer au profit des grands États territoriaux comme la France, l'Espagne, l'Autriche ou l'Angleterre. Ce processus s'accompagne d'une transformation en profondeur des rapports entre architecture et société. La discipline architecturale ne se réclame plus d'une raison antérieure à l'exercice du pouvoir et, par conséquent, investie d'une fonction critique par rapport à lui. Elle se veut entièrement au service du prince et de l'ordre qu'il incarne. L'œuvre d'un architecte comme Bernin (1598-1680) est, par exemple, tout entière vouée à l'exaltation de la papauté ; quant à la figure de l'architecte du roi, elle s'impose dans de nombreux pays, à commencer par la France. La hiérarchie terrestre n'est jamais, cependant, que l'une des manifestations d'un plan divin qui embrasse la création tout entière. En magnifiant les puissants de ce monde, l'architecture reflète également l'organisation générale des êtres et des choses voulue par Dieu. Ainsi se trouve préservé le caractère universel de ses fondements.

Idéalement, l'architecture doit exprimer la grandeur du prince, celle des premiers de ses sujets, puis le système descendant des conditions qui contribue à structurer les sociétés d'ordres d' Ancien Régime. « Les ordres sont dignités permanentes et attachées à la vie des hommes », écrit au début du xviie siècle le juriste Loiseau. L'architecture est censée se régler sur leur gradation, du haut clergé et de la noblesse aux conditions plus modestes de bourgeois et d'artisan. Ce travail de différenciation sociale doit trouver sa contrepartie dans l'unité des principes auquel il a recours, de même que la société est à la fois profondément unitaire et composée d'organes différents comme un grand corps. En pratique, les églises et les palais du clergé et de la noblesse constituent l'essentiel de la commande architecturale. Au même titre que le système dans lequel ils s'insèrent, leur composition traduit un souci de gradation des espaces en fonction de leur destination et du rang de leurs occupants. Centré sur la chambre du roi, offrant une série de séquences spatiales clairement hiérarchisées, le château de Versailles constitue de ce point de vue un modèle insurpassable.

En marge de ce type de programme, l'architecture concourt également aux projets de rationalisation limitée dont le pouvoir est porteur. Des liens nombreux l'unissent à la fortification et à l'aménagement territorial et urbain. Certains architectes peuvent être en outre chargés de donner des plans d'ateliers et de manufactures. C'est ainsi qu'un François Blondel (1618-1686) conçoit la corderie de Rochefort au milieu des années 1660.

Dans un premier temps, la théorie vitruvienne s'adapte parfaitement à cet ensemble de contraintes. Par l'intermédiaire de son recours constant à la proportion, elle apparaît comme une véritable science de l'ordre. Ne se réclame-t-elle pas en outre de principes en nombre restreint qui autorisent par la suite tout un travail de différenciation ? Aux puissants les ordonnances les plus riches, aux propriétaires de rang inférieur des ornements plus modestes. Telle est bien la leçon qui se dégage des recueils d'habitations élaborés par Serlio ou par Le Muet. Proche parente de la pensée scientifique et technique, la théorie architecturale intègre enfin sans difficulté les impératifs de rationalisation du pouvoir.

Cette convergence entre l'idéal vitruvien et la vision sociale d'Ancien Régime est particulièrement prononcée dans le classicisme[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur d'histoire de l'architecture et des techniques à la Graduate school of design de l'université Harvard, Cambridge, Massachusetts (États-Unis)

Classification

Autres références

  • ARCHITECTURE & ÉTAT AU XXe SIÈCLE

    • Écrit par
    • 3 970 mots
    • 3 médias

    L'intervention de l' État dans le domaine de l' architecture ne constitue pas un phénomène nouveau. De tout temps et sous tous les régimes, l'État est intervenu dans la mesure où toute réalisation architecturale met en cause les intérêts de couches de population bien plus larges que celles...

  • ARCHITECTURE & MUSIQUE

    • Écrit par
    • 7 426 mots
    • 1 média

    La comparaison, tentée à maintes reprises, entre architecture et musique a donné lieu en général à des slogans du genre « l'architecture est une musique figée ». On ne s'est pas privé non plus de constater que les œuvres de la « grande » musique occidentale s'étaient peu à peu solidifiées en objets,...

  • INGÉNIEUR ET ARCHITECTE

    • Écrit par
    • 4 261 mots
    • 5 médias

    Au cours de la Renaissance, les figures de l'architecte et de l'ingénieur se confondent pratiquement. Filippo Brunelleschi, généralement considéré comme un des pères fondateurs de l'architecture renaissante, est presque autant ingénieur qu'architecte. Ne conçoit-il pas les machines destinées...

  • ANDROUET DU CERCEAU JACQUES (1520-1586)

    • Écrit par
    • 967 mots

    Jacques Androuet du Cerceau (appelé le plus souvent « Du Cerceau », dû au motif de l'enseigne de la boutique de son père qui était marchand de vin) fut à la fois un graveur, un dessinateur, un créateur d'ornements, un inventeur d'architectures réelles ou imaginaires et l'auteur du premier ouvrage...

  • ANTHROPOMORPHIQUE ARCHITECTURE

    • Écrit par
    • 1 060 mots

    De tout temps les architectes ont senti qu'il existait des affinités autres que d'usage entre les édifices et les hommes. La critique architecturale l'exprime confusément qui parle de l'ossature, des membres, de la tête ou de l'épiderme d'une construction. Mais cette impression...

  • APPAREIL, architecture

    • Écrit par
    • 4 325 mots
    • 2 médias

    En termes d' architecture, l'appareil désigne les modalités d' assemblage, de liaison et de mise en valeur des matériaux de la construction. Il est un des éléments essentiels du caractère de l'édifice dont il souligne au premier coup d'œil les structures et souvent la fonction....

  • ARC DE TRIOMPHE

    • Écrit par
    • 1 627 mots
    • 9 médias

    Un arc de triomphe est une structure architectonique composée de deux pylônes reliés par une voûte en plein cintre ; elle supporte par son intermédiaire un attique, base rectangulaire massive qui elle-même porte des statues. L'arc comprend en outre des colonnes plaquées contre les pylônes qui soutiennent...

  • Afficher les 40 références