ARCHITECTURE (Thèmes généraux) Architecture et société
L'architecture touchée par les Lumières
« On dit en général du goût que c'est un certain je-ne-sais-quoi-qui-plaît », déclare l'architecte Germain Boffrand dans son Livre d'architecture en 1745, en ajoutant que « cette idée est bien vague ». Aussi imprécise soit-elle, la référence des architectes des Lumières au goût n'en témoigne pas moins de leur souci de mieux répondre à la demande sociale des élites, quitte à faire quelques entorses aux canons vitruviens. En France, la période rococo qui s'ouvre peu après la mort de Louis XIV voit l'approfondissement des recherches concernant les agencements intérieurs. Les exigences du paraître doivent composer avec un désir d'intimité grandissant qui conduit à spécialiser les pièces de l'habitation, à multiplier les cabinets, les garde-robes et les dégagements, tandis que les premiers couloirs font leur apparition dans les demeures de la noblesse et de la grande bourgeoisie. L'enseignement d'un Jacques-François Blondel (1705-1774), le plus grand professeur d'architecture du xviiie siècle, reflète cette évolution. La réflexion sur les usages et leur traduction architecturale s'approfondit par la suite, en même temps que naît une opinion publique indépendante du pouvoir monarchique avec laquelle les hommes de l'art vont devoir compter désormais.
L'utilité publique constitue l'un des maîtres mots de cette opinion influencée par la pensée des philosophes et des premiers économistes. De nouvelles interrogations se font jour du même coup. Empêtrée dans le carcan du vocabulaire classique, l'architecture ne risque-t-elle pas de négliger l'utilité, alors qu'il s'agirait pour elle de concourir à une réforme de la société qui paraît de plus en plus nécessaire aux esprits éclairés ? La pratique architecturale la plus ordinaire, celle qui consiste à élever des immeubles de rapport dans les villes, obéit déjà à des impératifs de rentabilité. Sans tomber dans la pauvreté formelle de ses productions, ne conviendrait-il pas de rénover la grande commande architecturale, d'en redéfinir les principes, d'en étendre le champ, d'en varier les moyens ? Une bonne part de l'œuvre d'un Claude Nicolas Ledoux (1736-1806) peut se lire dans la perspective de ce dessein de rénovation. Conçue au début des années 1770, la saline d' Arc-et-Senans constitue le prototype d'une architecture utile, en même temps qu'elle témoigne de la mise au point d'un nouveau vocabulaire formel à base de volumes simples et autonomes, de contrastes violents à vocation symbolique entre ombre et lumière, surfaces nues et ornementation. Il s'agit ce faisant de jouer sur les sensations éprouvées par le spectateur, de le moraliser en faisant appel à ses sentiments les plus élevés. L'architecte emploiera le même vocabulaire lorsqu'il sera chargé, autre projet utile, de la conception des barrières d'octroi de la capitale, les Propylées de Paris, dans les années 1780. Ces Propylées présentent en outre une variété de partis qui ne tient plus seulement à l'emploi des ordres d'architecture, mais à l'exploration des possibilités combinatoires du carré et du cercle, à une démarche d'investigation typologique qui s'affranchit des modèles de composition traditionnels. Ledoux poursuivra son investigation typologique, sur le papier cette fois, lorsque, renouant avec le thème de la cité idéale, il donnera les plans de différents édifices destinés à prendre place autour de la saline d'Arc-et-Senans de manière à constituer la ville de Chaux, une ville dont la description occupe l'essentiel de son traité de 1804 intitulé de manière significative : L'Architecture considérée sous le rapport de l'art, des mœurs et de la législation[...]
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Écrit par
- Antoine PICON : professeur d'histoire de l'architecture et des techniques à la Graduate school of design de l'université Harvard, Cambridge, Massachusetts (États-Unis)
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