ARCHITECTURE (Thèmes généraux) Architecture et société
Architecture et « question sociale » au XIXe siècle
Frappées par l'ampleur des transformations engendrées par la Révolution française, puis par les bouleversements dont s'accompagne l'industrialisation, les élites du xixe siècle sont amenées à s'interroger sur la nature du lien social et sur son évolution. Celui-ci semble menacé à la fois par l'individualisme qui s'est substitué aux réseaux de solidarité traditionnels et par l'émergence d'une classe prolétaire de plus en plus nombreuse dont les revendications constituent une menace pour l'ordre établi. Dans quelle mesure l'architecture est-elle susceptible de contribuer au dépassement des intérêts égoïstes et à l'établissement de relations harmonieuses entre des classes sociales que tout sépare en apparence ? Une telle question va hanter de nombreux architectes, théoriciens ou praticiens, préoccupés par l'avenir de leur discipline.
La multiplication des programmes d'équipements et de logements, leur spécialisation croissante, les progrès que connaît l'art de bâtir constituent autant de motifs d'espérance. La construction métallique qui triomphe lors des Expositions universelles fait figure de symbole de cette capacité de réponse aux besoins nouveaux des hommes. Mais la discipline architecturale est aussi marquée par la découverte de la dimension historique, cette composante essentielle des réflexions du xixe siècle. L'histoire de l'architecture permet d'établir la liste des monuments historiques dont l'existence exprime la continuité du génie national. Surtout, elle offre aux éclectiques un répertoire de formes permettant de varier à l'infini l'apparence des édifices, de manière à satisfaire toutes les aspirations d'une clientèle publique ou privée qui se diversifie.
Pour Viollet-le-Duc, cependant, l'histoire de l'architecture n'est pas tout entière placée sous l'égide d'un souci de restauration et de réactualisation du patrimoine. Elle est encore moins destinée à servir de catalogue d'ordonnances toutes prêtes. À ses yeux, la succession des styles renvoie en effet à l'évolution de la civilisation dans son ensemble. L'histoire de l'architecture se confond avec celle des relations entre architecture et société, des relations plus ou moins satisfaisantes selon les époques. Certaines d'entre elles font de l'édification une des manifestations les plus hautes de l'idéal qui les anime, tandis que d'autres s'enferment dans un académisme extérieur aux véritables enjeux du moment. Au cours de la première moitié du xixe siècle, une telle conception imprègne également les écrits des saints-simoniens sur l'art dont l'influence n'a peut-être pas été assez soulignée. À la suite de leur maître, les disciples de Saint-Simon distinguent entre des périodes « organiques », où l'humanité adhère à un même but, et des périodes « critiques », où le doute et la division règnent en maîtres. Dans les périodes organiques, l'art et l'architecture sont pleinement au service de la société, tandis que les périodes critiques se révèlent incapables de leur assigner une mission précise. Le Moyen Âge apparaît aux saint-simoniens comme une période organique, ce qui donne toute sa valeur à l'architecture gothique. Plus généralement, l'intérêt qu'éprouve le xixe siècle à l'égard du gothique doit être interprété à la lumière de la fascination qu'exercent la société et la culture médiévales, perçues comme profondément unitaires, sur un âge qui se sent divisé, parcouru de fractures difficiles à surmonter.
À la différence d'un architecte rationaliste comme Viollet-le-Duc sur lequel l' utopie a peu prise, les saint-simoniens croient à l'avènement[...]
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Écrit par
- Antoine PICON : professeur d'histoire de l'architecture et des techniques à la Graduate school of design de l'université Harvard, Cambridge, Massachusetts (États-Unis)
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