ARCHITECTURE (Thèmes généraux) L'architecte
La formation et le statut de l'architecte au Moyen Âge
De nombreux manuscrits du Moyen Âge appellent Dieu l'Architecte de l'Univers. Quelle preuve éclatante de la valeur intrinsèque qui s'attachait alors à l'art de concevoir un édifice et de l'élever ! Toutefois, la profession d'architecte est restée longtemps anonyme, régie par des règles, certes, mais laissant dans l'ombre les individualités. Rares sont au haut Moyen Âge les architectes dont les noms nous sont parvenus. Les abbatiales et les cathédrales romanes ne nous livrent qu'exceptionnellement le nom de leur bâtisseur, et, quand nous le connaissons, nous cernons mal sa vie et sa personnalité.
Ainsi nous savons qu'un magister Odo (maître Eudes), originaire de Metz, a bâti la chapelle Palatine d'Aix. Son plan polygonal et son élévation élaborée ne sont pas sans rappeler d'illustres monuments d'Italie (par exemple San Vitale de Ravenne) ou du Proche-Orient. Eudes avait-il vu lui-même ces édifices, ou a-t-il – en moins d'une décennie – bâti la chapelle Palatine simplement d'après des croquis qu'on lui avait fait parvenir ? La stricte modulation de cette œuvre bâtie en harmonie avec les nombres laisse penser qu'en plus de l'expérience acquise lors de voyages, pour l'époque lointains, Eudes disposait de notions tectoniques étendues. Le dispositif des arcs-diaphragmes étayant la tribune n'annonce-t-il pas le système des arcs-boutants gothiques ?
Eudes de Metz, comme ses confrères carolingiens, connaissait probablement le De architectura de Vitruve. De la période carolingienne et romane, il s'est conservé plus de cinquante manuscrits (entiers ou en fragments) de ce traité d'architecture, rédigé au temps d'Auguste par un architecte théoricien. Nul doute que les maîtres d'œuvre carolingiens s'en inspirèrent. Eginhard, conseiller de Charlemagne, auteur des basiliques de Steinbach et de Seligenstadt, semble en avoir été un fervent admirateur. Quelques semaines avant de mourir, en mars 840, il demande encore à l'un de ses disciples de recopier le passage de Vitruve traitant de la scénographie, c'est-à-dire de la perspective. D'autres grands principes de cet ouvrage, comme la symmetria, la proportio – l'interdépendance proportionnée des différents éléments d'un édifice – et la commodulatio (symétrie des modules et des volumes), ont été puisés à cette source. Le terme de more romano – bâtir de façon romaine – revient souvent à cette période et aura même une incidence sur la disposition des édifices. C'est more romano que le moine Ratgar, architecte devenu abbé de son monastère, construit l'abbatiale de Fulda. Cela voulait dire que cette grande église – qui avait presque les dimensions d'une cathédrale gothique – était orientée à l'envers, c'est-à-dire « occidentée », comme la plupart des basiliques romaines. C'est encore more romano et non more prioris (à la façon habituelle) que son successeur Eigil disposera, après avoir tenu conseil avec ses moines, le cloître de l'abbaye dans l'axe de l'édifice et non contre le flanc sud comme le voulait le schéma habituel, tel qu'il apparaît sur le plan de Saint-Gall. L'auteur en est sans aucun doute un clerc et non un architector, car les données liturgiques et pratiques sont suivies à la lettre, alors que les murs sont indiqués par un simple trait, l'emplacement des portes par un léger interstice. On pourrait se demander quelle fut la place des architectes laïcs dans la construction religieuse du haut Moyen Âge, mais c'est en vérité un faux problème, car, à ce moment, les esprits les plus ouverts, les plus inventifs appartenaient presque exclusivement au clergé. Nous n'en voulons pour exemple que les deux architectes de la célèbre[...]
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Écrit par
- Florent CHAMPY : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de sciences sociales et docteur en sociologie, chercheur au C.N.R.S. (Centre de sociologie des arts), enseignant à l'École des hautes études en sciences sociales et à l'Institut d'études politiques de Sciences Po Paris
- Carol HEITZ : professeur d'histoire de l'art du Moyen Âge à l'université de Paris-X et au Centre d'études supérieures de civilisation médiévale de Poitiers
- Roland MARTIN : membre de l'Institut
- Raymonde MOULIN : directrice de recherche émérite au CNRS
- Daniel RABREAU : professeur à l'université de Paris-I-Sorbonne, directeur du centre Ledoux
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