- 1. Les pays de l'Arctique et l'éveil des peuples autochtones
- 2. Des perspectives énergétiques prometteuses
- 3. Le statut de l'océan Arctique
- 4. Les principaux différends sur les limites maritimes
- 5. L'enjeu des routes maritimes arctiques
- 6. Le statut des routes maritimes arctiques
- 7. L'intérêt stratégique et militaire de l'Arctique et son évolution
- 8. Les enjeux environnementaux
- 9. Bibliographie
ARCTIQUE (géopolitique)
L'enjeu des routes maritimes arctiques
Si l'idée de passer par l'Arctique pour relier l'Atlantique au Pacifique a germé il y a longtemps, les tentatives sont restées infructueuses jusqu'à la seconde moitié du xixe siècle, quand le Suédois Adolf Erik Nordenskjöld força, le premier, le passage du Nord-Est en longeant les côtes de l'Eurasie (1878-1879) et jusqu'au début du xxe siècle, lorsque le Norvégien Roald Amundsen réussit à se faufiler dans le dédale des détroits canadiens du passage du Nord-Ouest (1903-1906).
L'avantage de ces routes difficiles réside dans la réduction des distances entre les façades d'un même continent, voire entre deux continents. Ainsi, l'itinéraire Londres-Vladivostok totalise 11 000 milles marins par le canal de Suez, mais seulement 7 670 milles par le détroit de Béring. Pour la Russie, la liaison Mourmansk-Vladivostok représente 12 830 milles par Suez, alors qu'elle en fait moins de la moitié par l'Arctique. Enfin, à l'ouest, la route Hambourg-Vancouver fait 14 700 milles par le cap Horn, 9 350 milles par Panamá et 8 090 milles par le passage du Nord-Ouest. De plus, l'Arctique permet d'éviter les grands canaux interocéaniques de Suez et Panamá qui sont des points sensibles du trafic maritime. En revanche, ces routes sont lentes, risquées et toujours onéreuses, en raison de l'énorme infrastructure logistique qu'elles nécessitent : brise-glace, avions de reconnaissance pour choisir les itinéraires entre les glaces, stations météorologiques et ports spécialement conçus pour un trafic saisonnier, enfin le coût des navires à coque renforcée.
Du côté américain, l'avantage du passage du Nord-Ouest par rapport au canal de Panamá est peu tangible pour les États-Unis, ce qui explique en partie qu'ils n'aient pas véritablement cherché à établir une route polaire à travers l'archipel canadien. Il n'y a eu jusqu'à présent que des passages occasionnels pour installer, puis ravitailler, des bases militaires arctiques ou desservir des localités inuites.
L'ouverture d'une route commerciale au nord de l'URSS se justifiait davantage, parce qu'elle permettait d'évacuer les productions de pondéreux de la Sibérie qui descendent par les fleuves vers la façade arctique. La route polaire pouvait fonctionner comme un collecteur transversal, soit vers l'ouest soit vers l'est. Les Soviétiques y consacrèrent beaucoup d'efforts et de capitaux. En 1932, le brise-glace Sibirjakov réalisait le premier passage ouest-est en une seule saison de navigation et, en 1935, était ouverte la première liaison commerciale Leningrad-Vladivostok. Les cargos naviguent en « caravanes », comme disent les Russes, c'est-à-dire en convois derrière un brise-glace. Le trafic est saisonnier, les marchandises n'empruntent en général qu'un tronçon de la ligne, l'acheminement est très lent et les catastrophes dues aux glaces sont chroniques, par exemple en 1937 et en 1983, lorsque les brise-glace eux-mêmes furent prisonniers de la banquise. Dans ces conditions, le fret annuel n'a guère dépassé quelques millions de tonnes dans les meilleures années. Les coûts inhérents à cette ligne expliquent qu'elle soit en « crise », selon les spécialistes russes, depuis la conversion de la Russie à l'économie de marché.
Ces liaisons maritimes ne seront jamais ordinaires, parce qu'elles ne pourront pas s'affranchir totalement du danger des glaces, accru par la nuit polaire, des brouillards fréquents et redoutables en été et qu'elles nécessiteront toujours de grosses infrastructures à terre. D'une part, elles sont côtières, ce qui limite le tonnage des navires, et, d'autre part, elles ne sauraient convenir à des porte-conteneurs pour lesquels la rapidité de l'acheminement est un[...]
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Écrit par
- François CARRÉ : professeur de géographie de la mer à l'université de Paris-Sorbonne
Classification
Médias