ARGUMENTATION
Persuasion et conviction
Cette théorie insistera sur la grande variété d'auditoires auxquels s'adresse un discours (ou un écrit) argumentatif. Ces auditoires, l'ensemble de ceux que vise l'argumentation, peuvent varier quantitativement, allant d'un seul interlocuteur à toute l'humanité, et qualitativement, à partir d'une foule d'ignorants réunie sur la place publique jusqu'aux groupes les plus spécialisés et les plus compétents. On a intérêt à ne voir qu'une espèce particulière d'auditoire dans la délibération intime où le sujet, pesant le pour et le contre, se dédouble en devenant son propre interlocuteur. Il y a un intérêt philosophique indéniable à concevoir également en fonction de l'auditoire ce que les philosophes qualifient d'appel à la raison. Alors que pour Platon, dans le Phèdre(273 c), l'argumentation rationnelle, digne du philosophe, est celle qui convaincrait les dieux eux-mêmes, chacun peut se former une idée de cet auditoire qui, pour lui, incarne la rationalité. L'important, pour une pensée non dogmatique, est de concevoir cette incarnation d'une façon telle que les membres de cet auditoire idéal soient à même de réagir, d'admettre ou de critiquer les thèses ou les arguments auxquels ils sont censés donner leur assentiment. Cet auditoire sera qualifié d'universel parce qu'aucun homme, compétent et raisonnable, ne peut en être écarté sans justification.
Le but de l'argumentation étant d'agir sur l'auditoire, le premier critère permettant de juger un discours est son efficacité. Mais ce n'est pas un critère suffisant, car on ne peut négliger la qualité de l'auditoire auquel le discours est destiné. On pourrait distinguer les discours de l'homme politique, de l'avocat, du savant, du théologien et du philosophe, non seulement par leur objet, mais aussi et surtout par les auditoires auxquels ils s'adressent. En effet, l'efficacité de l'argumentation étant fonction de son adaptation à l'auditoire, des techniques utilisées pour persuader un auditoire particulier ne pourront pas servir quand il s'agira de convaincre un auditoire universel ; une argumentation rationnelle se caractérise par le fait que, visant un auditoire universel, elle parvient à emporter sa conviction.
La faute impardonnable, dans l'argumentation, est la pétition de principe qui consiste à la rattacher à une thèse que l'on croit valable mais à laquelle l'auditoire ne donne pas son assentiment. Car tout l'effort d'argumentation restera inefficace et le discours s'écroulera, comme un tableau que l'on voudrait suspendre à un clou mal accroché au mur.
Il est donc essentiel de connaître les thèses admises par l'auditoire, ainsi que l'intensité avec laquelle il y adhère, pour choisir et mettre en évidence, par la présentation, celles qui serviront de point d'appui à l'argumentation. Celles-ci fourniront les raisons favorables ou défavorables aux thèses que l'orateur – celui qui argumente – s'efforce de promouvoir ou de combattre.
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Écrit par
- Chaïm PERELMAN : professeur honoraire de l'Université libre de Bruxelles, membre de l'Académie royale de Belgique, membre correspondant de l'Institut de France
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