ARISTOPHANE (445-380 av. J.-C.)
L'utopie politique
« Les Oiseaux »
La seule comédie qui semble être du domaine de la fantaisie pure, Les Oiseaux, date de 414. Or c'est un des moments les plus pénibles de la guerre : la paix de 421 a été rompue et les Athéniens ont entrepris dans l'enthousiasme l'expédition de Sicile. Mais cette expédition s'est engagée dans des conditions dramatiques : Alcibiade qui la conduisait est accusé d'avoir fait mutiler les Hermès et d'avoir parodié les Mystères. Menacé d'arrestation, il s'est réfugié auprès des Spartiates. La délation règne dans la ville et les citoyens soupçonnés de complicité sont emprisonnés, jugés et condamnés à mort. On comprend que, dans ces conditions, Aristophane ne pouvait guère écrire une comédie engagée dans l'actualité politique et que la prudence au moins devait l'inviter à l'évasion.
Il imagine donc deux citoyens d'Athènes, Pisthétairos (« Fidèle-Ami ») et Evelpidès (« Bon-Espoir »), qui, las de vivre dans une ville au milieu des procès, ont résolu de se retirer loin du monde des hommes : ils s'en vont trouver les oiseaux à qui ils proposent un plan destiné à leur rendre la souveraineté qu'ils possédaient avant le règne de Zeus ; il leur suffira de construire une cité aérienne qui coupera toutes relations entre les hommes et les dieux. Cette cité de Nephélococcygie (« Coucouville-les-Nuées ») est construite dans l'enthousiasme et l'on assiste au défilé de tous ceux qui aspirent à s'y installer et que Pisthétairos éconduit les uns après les autres.
Les dieux affamés, parce qu'ils ne reçoivent plus les fumées des sacrifices, abandonnent la souveraineté aux oiseaux, et cèdent à Pisthétairos une jolie femme, Royauté, parèdre de Zeus, qu'il emmène aux accents de l'hymne d'hyménée. Plus qu'en aucune autre de ses comédies, Aristophane a su, dans Les Oiseaux, créer un monde féerique et sa puissance d'invention verbale réussit à évoquer l'harmonieux ramage des habitants du ciel. Sans doute, comme le Dionysos des Grenouilles, les dieux sont-ils quelque peu malmenés, mais ce n'est pas par esprit d'irréligion que le poète se moque d'eux. Comme un bouffon peut dire en toute liberté devant un roi les plaisanteries les plus incongrues, comme les paysans traitent avec familiarité les saints qui protègent leurs campagnes, le poète, dans une représentation donnée à l'occasion d'une fête religieuse, bénéficie de toute licence et peut, sans attirer leur vindicte, montrer les dieux dans des postures ridicules.
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Écrit par
- Jean DEFRADAS : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à la Faculté des lettres et sciences humaines de Lille
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Média
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