ARISTOPHANE (445-380 av. J.-C.)
L'utopie sociale
Les deux dernières comédies conservées d'Aristophane sont d'un esprit très différent des autres. C'est que la situation a bien changé : la guerre du Péloponnèse, terminée en 404 par une défaite totale d'Athènes, a été suivie rapidement de nouvelles luttes et d'un certain redressement politique. Mais ces trente années avaient laissé bien des misères et des ruines. Après les dures expériences qu'avaient été la tyrannie des Trente puis les luttes de la libération était venu un désintérêt complet à l'égard de la vie politique. Le poète comique cherche donc ses sujets ailleurs et ces deux pièces le montrent préoccupé de problèmes sociaux.
« L'Assemblée des femmes »
Dans L'Assemblée des femmes (392), les femmes athéniennes, constatant que tout va mal dans la cité, ont décidé de gouverner à la place des hommes : déguisées en hommes et ayant réussi à empêcher les hommes de sortir de chez eux, elles se réunissent à la Pnyx et prennent le pouvoir. Elles décident d'instaurer la communauté des biens et des femmes. Chacun doit remettre à la collectivité tout ce qui lui appartient, pour être désormais entretenu par elle, et les femmes seront toutes au premier venu ; mais les plus vieilles et les plus laides auront priorité sur les jeunes et les belles. Il en résulte une suite de scènes bouffonnes où la fantaisie se déploie librement. Il est certain que cette utopie communiste, que le poète ne prend guère au sérieux, répond à des théories qui furent développées par des philosophes et que Platon, plus tard, devait reprendre dans sa République.
« Ploutos »
Le Ploutos (388) est une fantaisie où le dieu de la richesse, qui était aveugle et distribuait ses faveurs au hasard, est guéri de sa cécité et peut n'accorder désormais ses bontés qu'aux gens de bien. Mais la Pauvreté, avec lucidité et vigueur, expose que, sans elle, les hommes resteraient inactifs et qu'elle est indispensable à la civilisation. Comme dans Les Oiseaux, les dieux sont victimes de cette amélioration du sort des hommes qui n'ont plus rien à leur demander et ne leur adressent plus de sacrifices. Une des scènes les plus pittoresques de la comédie est le récit de la guérison de Ploutos, miracle accompli dans le sanctuaire d'Asclépios, dieu de la médecine.
Leur engagement direct dans l'actualité politique donnait aux comédies d'Aristophane un caractère éphémère qui nuisit à la survie de sa gloire et elles ne furent ni reprises dans les siècles suivants ni imitées par les Romains. Leur naturalisme, souvent obscène et scatologique, adapté à un public athénien qui, sur les peintures de vases, pouvait contempler chaque jour des images aussi scabreuses, devait paraître bien choquant aux siècles formés par une éducation chrétienne et, à sa haute fantaisie, on préféra longtemps la sagesse de Ménandre. Cependant, nous sommes redevenus sensibles à sa verve, à son invention verbale, qui n'a d'égale que celle de Rabelais.
La scène du jugement que Racine lui a empruntée dans ses Plaideurs est bien modeste, par rapport à ce que nous pouvons ressentir aujourd'hui à la lecture et à la représentation de ses comédies. Légèrement adaptés à l'actualité, La Paix et Les Oiseaux ont obtenu un large succès dans les années qui précédèrent 1939, et La Paix a de nouveau touché le cœur des foules à la fin de la guerre d'Algérie. Le génie d'Aristophane était capable de s'élever au-dessus des circonstances particulières à son temps et sa valeur a une portée humaine universelle.
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Écrit par
- Jean DEFRADAS : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à la Faculté des lettres et sciences humaines de Lille
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