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ARISTOTE (env. 385-322 av. J.-C.)

La « science de l'être »

Aristote, on l'a vu, n'est pas l'auteur de l'ouvrage intitulé Métaphysique, puisque la responsabilité du recueil, de l'ordre des livres et du titre lui-même, incombe à des éditeurs postérieurs. Cette circonstance serait de peu d'importance philosophique si la spéculation philosophique qui se développe dans ces quatorze livres manifestait une unité ou une continuité aisément saisissables. En réalité, il semble que deux projets très différents soient ici à l'œuvre et que leur identification sous le nom devenu traditionnel de métaphysique masque ce que leur relation conserve, chez Aristote, de problématique.

Être quelconque et être suprême

Cette dualité est déjà saisissable dans le célèbre Proœmium (Prologue) de la Métaphysique (A, 1 et 2), où Aristote analyse l'idée traditionnelle de la philosophie. S'il est clair que la philosophie est un savoir de type scientifique qui s'élève au-dessus de la sensation par l'intermédiaire de l'imagination, de la mémoire et de cette première forme de généralisation qu'est l'expérience, s'il est clair aussi que la philosophie est un savoir théorique qui surpasse les techniques utilitaires grâce à son caractère désintéressé, si Aristote s'accorde avec Platon pour situer dans l'étonnement le point de départ de la philosophie, il n'en propose pas moins ensuite deux caractérisations plus rigoureuses, et assez différentes l'une de l'autre, de cette science nommée sagesse. D'une part, le philosophe est celui qui connaît le plus de choses, c'est-à-dire, commente Aristote, qui possède la science de l' universel, car celui qui connaît l'universel « connaît d'une certaine façon tous les cas particuliers qui tombent sous l'universel » (982 a 23). Mais le philosophe est aussi celui qui connaît « les choses les plus hautes et les plus difficiles » (982 a 10), choses qui ont leur fin en elles-mêmes et dont le savoir est le plus « exact », c'est-à-dire, commente Aristote, les principes et les causes et, singulièrement, les premiers d'entre eux. Science du tout ou seulement du meilleur, science de l'universel ou science du premier ? La sagesse est-elle à rechercher dans l'extension du savoir ou dans le caractère particulier, mais éminent, de son objet ?

Aristote ne prend pas parti explicitement dans ce débat, qui devait être au demeurant traditionnel dans les écoles socratiques. Mais on a depuis longtemps remarqué que la Métaphysique proposait deux sortes de définition de la « science recherchée ». L'une la présente comme la science de l'être en tant qu'être, c'est-à-dire de l'être envisagé par où (έe, qua) il est être et seulement être, et non « nombre, ligne ou feu » (Γ, 2, 1004 b 6). Une telle science est opposée d'emblée, dès les premières lignes du livre Γ, aux sciences particulières, qui portent sur un genre particulier de l'être. Mais, dans d'autres textes, la science recherchée, alors dite plus précisément philosophie première, est assimilée à la théologie, c'est-à-dire à une science particulière parmi d'autres, encore que cette science ait pour objet « le genre le plus éminent » (E, 1, 1026 a 21). Cette dernière science est, avec la physique (encore appelée philosophie seconde) et les mathématiques, l'une des trois sciences théorétiques, en lesquelles se divise la philosophie dans son ensemble. Alors que la science de l'être en tant qu'être se distingue de toutes les autres par son universalité, la théologie s'impose par sa primauté, c'est-à-dire par la particularité éminente de son objet. Il paraît donc bien s'agir de deux sciences différentes, et non de deux définitions différentes de la même science.[...]

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