ARISTOTE (env. 385-322 av. J.-C.)
La philosophie de la nature
S'il est vrai que l'ontologie d'Aristote est une élucidation de l'être-en-mouvement du monde sublunaire, s'il est vrai d'autre part que sa théologie, dans ce qu'elle a du moins d'humainement réalisable, pense Dieu négativement à partir de l'expérience du mouvement, on se convaincra que la frontière entre physique et métaphysique n'est pas toujours claire, à tel point que l'on a pu dire que « le thème de la métaphysique n'est que la question limite d'une physique menée avec conséquence jusqu'à son terme » (Wieland, 1962).
Les principes
Ainsi que le livre A de la Métaphysique, le livre I de la Physique est consacré à une confrontation avec les prédécesseurs, qui porte expressément sur le nombre et la nature des principes. En fait, ce qui est en question dans ce débat, c'est la possibilité même d'une physique, c'est-à-dire d'une science des êtres naturels, qu'Aristote assimile tacitement aux êtres en mouvement ou susceptibles de mouvement. Aristote veut montrer que, si l'on ne pose qu'un seul principe, on rend le mouvement impossible. Cette erreur fut celle des Éléates, pour qui l'être est un, n'ayant d'autre réalité que celle de l'essence. À un tel être il ne peut proprement rien arriver. Réciproquement, la prise en considération du mouvement amène à reconnaître que l'être est à la fois un et multiple : un en acte et multiple en puissance. Les Éléates achoppaient également devant cette difficulté : comment du non-être l'être peut-il provenir ? Aristote fait droit à la difficulté en admettant que, en un sens, il est vrai que le non-être ne puisse engendrer l'être et que, dès lors, ce qui est était nécessairement déjà. Mais nous sommes contraints par l'expérience même de reconnaître deux façons pour l'être de signifier : il y a l'être en puissance et l'être en acte, et dès lors on comprendra que l'être en acte vienne de ce qui n'était pas en acte, mais était déjà en puissance. Les Éléates représentent la fidélité la plus haute à l'exigence d'univocité du discours. Mais l'expérience du mouvement contraint la philosophie à ouvrir le langage sur l'être à la pluralité des significations (être en puissance et être en acte, être par soi et être par accident, être selon les différentes catégories), pluralité qui reflète elle-même la scission qu'opère le mouvement dans l'être. Le mouvement, dira Aristote, est « extatique », ce qui veut dire qu'il fait sortir l'être de soi-même en l'empêchant de n'être qu'essence, en le contraignant à être aussi ses accidents, cet « aussi » n'exprimant pas ici une surabondance, mais une profusion parasitaire, donc une déficience ontologique. C'est donc au prix de la reconnaissance d'une pluralité des sens de l'être qu'est acquise la possibilité d'une physique.
Selon Aristote, les principes du mouvement sont au nombre de trois. Il faut d'abord poser deux contraires, qui sont le point de départ et le point d'arrivée du mouvement. Ce dernier principe est la forme, c'est-à-dire ce que la chose devient par génération ; le point de départ de l'avènement de la forme est la privation de cette forme : ainsi, ce n'est pas n'importe quoi qui devient lettré, mais seulement l'illettré. Mais il faut un troisième principe qui assure la continuité du mouvement et l'empêche d'être une succession discontinue de morts et de renaissances (ainsi, l'illettré mourrait en devenant lettré, l'enfant en devenant adulte : thèse qui était celle de certains sophistes) : ce troisième principe est le substrat, ou matière, qui est ce qui subsiste sous le changement[...]
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Écrit par
- Pierre AUBENQUE : professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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