ARISTOTÉLISME MÉDIÉVAL
La place de la tradition aristotélicienne dans l'histoire de la pensée médiévale, le sens et la portée de son influence sur la scolastique tardive, le nombre et la nature des innovations qu'elle a sinon toujours directement suscitées, du moins souvent permises ou plus simplement encadrées, bref, l'ensemble des facteurs et des données historiques qui ont contribué à forger l'image d'un Moyen Âge tout entier voué à Aristote et au péripatétisme demande à être repensé. De fait, l'aristotélisme n'est pas l'unique référence en une période de dix siècles où le platonisme et l'augustinisme ont joué, pour le moins, un rôle équivalent, voire antagoniste. Pour prendre l'exacte mesure de la signification philosophique et culturelle de l'aristotélisme au Moyen Âge, il convient donc de rappeler ce qui lui a donné sa configuration véritable, marqué ses limites et accidenté son parcours.
Traductions, apocryphes et commentaires
Aristote a offert aux Latins un concept de la science et de la pratique scientifique entièrement nouveau. On n'aurait, cependant, garde d'oublier que la connaissance intégrale de son œuvre a été un phénomène tardif ; que la définition de son Corpus a fait place à nombre d'apocryphes ; que les données authentiques sont arrivées déjà enveloppées de commentaires généralement étrangers à l'esprit de sa philosophie ; que la notion même d'« aristotélisme » n'a guère été pratiquée au Moyen Âge ; que la progression de ses idées a été constamment freinée de la fin du xiie à celle du xiiie siècle ; enfin, que les médiévaux ont cru que le Stagirite avait composé ses ouvrages comme un tout organique, alors que la critique moderne nous en a, au contraire, retracé l'évolution interne, les discontinuités et les écarts.
S'il est vrai qu'à partir des années 1240 l'enseignement universitaire donné dans les facultés des arts s'est confondu avec l'étude d'Aristote – en témoignent les centaines de commentaires et de quaestiones, dont l'inventaire systématique est en cours aujourd'hui encore –, il faut souligner que l'opus aristotelicum n'a été véritablement disponible qu'aux confins des xiie et xiiie siècles. On distinguera donc, de ce point de vue, deux grands âges ou figures de l'aristotélisme médiéval : d'une part, l'Aristote gréco-latin, celui de la période tardo-antique et du haut Moyen Âge, en un mot celui de Boèce ; d'autre part, l'Aristote gréco-arabe, celui du Moyen Âge tardif et des universités, en un mot celui d'Averroès. Durant la quasi-totalité du xiie siècle, les Latins n'ont pu lire que peu d'œuvres authentiques. Leur Aristote était avant tout un logicien, l'auteur des Catégories et de L'Interprétation (De interpretatione, Peri hermeneias), complété et glosé par les commentaires (sur l'Isagoge de Porphyre, sur les Catégories, sur le Peri hermeneias) et les monographies de Boèce (Introductio ad syllogismos categoricos. De syllogismo categorico. De syllogismo hypothetico. De divisione. De differentiis topicis). C'est, pourtant, de ce complexe de lieux, de thèmes et de doctrines purement dialectiques, la logica vetus, que se sont dégagés une méthode et un style de philosophie qui, d'emblée, ont conditionné le développement de la science principale : la théologie.
Vers la fin du xiie siècle et au début du xiiie, en revanche, l'ensemble de l'œuvre est traduit ou en circulation : la fin de l'Organon, tout d'abord, dans la traduction de Boèce, Premiers et Seconds Analytiques, Topiques et Réfutations sophistiques, ce qu'on appelle la logica nova, mais aussi les Libri naturales, c'est-à-dire notamment la Physique (traduite du grec par Jacques de Venise entre 1125 et[...]
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Écrit par
- Alain de LIBERA : agrégé de philosophie, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses), chaire histoire des théologies chrétiennes dans l'Occident médiéval
Classification
Média
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