ARISTOTÉLISME MÉDIÉVAL
L'« entrée » d'Aristote et ses vicissitudes
La première censure intervient en 1210, quand le concile de la province ecclésiastique de Sens interdit la lecture des « livres naturels d'Aristote ainsi que de ses commentaires, tant en public[publice]qu'en privé[secreto]sous peine d'excommunication » – les libri naturales, c'est-à-dire, on l'a vu, tant la Métaphysique et le De anima que la Physique proprement dite. La deuxième interdiction a lieu en 1215 avec la promulgation des statuts de l'université de Paris par le cardinal-légat Robert de Courçon. Cette disposition, manifestement imposée par la faculté de théologie à celle des arts, ne concerne pas l'Aristote logicien – logica vetus et logica nova sont même explicitement portées au programme des lectures ordinaires (ordinarie) ; elle ne veut atteindre que « la Métaphysique et les livres naturels, ainsi que les Sommes qui en sont tirées », c'est-à-dire l'Aristote philosophe et ses interprètes païens, Avicenne, voire Al-Fārābī. Cette première mesure aura son efficacité, relative, durant les seules années 1220. Dès les années 1230, la querelle de l'aristotélisme passe à l'intérieur même de la faculté de théologie : en 1228, le pape Grégoire IX met en garde les théologiens contre les « nouveautés profanes » (car « la foi est sans mérite si la raison humaine lui prête ses ressources ») ; mais, en 1231, signe incontestable de recul, il ne reconduit que temporairement les interdictions antérieures, « jusqu'à ce que les livres naturels aient été examinés » par une commission spéciale « et purifiés de tout soupçon d'erreur ». À peine constituée, la commission doit se dissoudre : Aristote ne sera pas corrigé. D'autres mesures viendront : les censures seront réitérées en 1245 et en 1263, mais elles resteront lettre morte – indice d'une diffusion massive d'Aristote, que surcharge et surdétermine celle, parallèle, des commentaires d'Averroès traduits dès les années 1230. Ce n'est qu'à partir de la fin des années 1260 que la réaction anti-aristotélicienne prend une véritable consistance. Dans ses Collationes de decem praeceptis, Bonaventure (Jean de Fidanza), ministre général de l'ordre des Mineurs, met en place une critique systématique des « trois erreurs à redouter dans la pratique des sciences », qui servira elle-même de matrice à toutes les condamnations ultérieures de la philosophie péripatéticienne. La première concerne « la cause de l'être » (causa essendi), c'est l'affirmation de l'éternité du monde ; la deuxième, « la raison de l'intelligence » (ratio intelligendi), c'est la confession du déterminisme ; la troisième, « la règle de la vie » (ordo vivendi), et c'est la position de l'unicité de l'intellect ou monopsychisme. Ce premier quadrillage des erreurs philosophiques sera plus ou moins clairement repris et développé par l'évêque de Paris Étienne Tempier, dans ses condamnations de 1270 et 1277. Il est, sans aucun doute, difficile de trouver un ordre des raisons dans l'« invraisemblable désordre » (F. Van Steenberghen) qui caractérise la liste des 219 articles condamnés à Paris le 7 mars 1277. Toutefois, par-delà la dénonciation de thèmes purement averroïstes (dont, au premier chef, celle du monopsychisme), on y peut aisément reconnaître quelques-unes des thèses que les médiévaux ont considérées, à raison, comme authentiquement aristotéliciennes, ainsi dans l'article 27, qui soutient celle de l'unicité du monde (« la cause première ne peut créer plusieurs mondes »), ou dans l'article 66, qui affirme l'impossibilité d'un mouvement rectiligne de l'ensemble des sphères célestes (« Dieu ne peut mouvoir le ciel d'un mouvement rectiligne[...]
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Écrit par
- Alain de LIBERA : agrégé de philosophie, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses), chaire histoire des théologies chrétiennes dans l'Occident médiéval
Classification
Média
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