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ARISTOTÉLISME MÉDIÉVAL

L'« aristotélisme commun » et la représentation de la nature

Restent les données de fond de l'aristotélisme, ce qu'on pourrait appeler l'« aristotélisme commun », la multitude des emprunts et des garanties que la science et les sciences aristotéliciennes fournissent au savoir médiéval. La matière est ici inépuisable. L'idée même de science et des critères de la scientificité est, durant toute la période scolastique, proprement aristotélicienne : le De ortu scientiarum de Robert Kilwardby (avec sa division tripartite de la physique, de la mathématique et de la théologie) et le Commentaire des « Seconds Analytiques » par Robert Grosseteste (avec sa théorie de la connaissance expérimentale) en sont les témoins naissants. En logique, la théorie modale des Premiers Analytiques est le fondement de toutes les innovations des xiiie et xive siècles : logique temporelle, logique du changement, logique déontique, logique épistémique – il n'est pas jusqu'à la logique « pratique » qui ne puisse être reconduite à certains passages de l'Organon. En métaphysique, l'aristotélisme médiéval n'est que la longue mise en argument de la distinction et des rapports entre ontologie, la science de l'être en tant qu'être, et théologie, la science de la substance immobile, laquelle ne fait qu'expliciter l'ambiguïté originaire de la Métaphysique aristotélicienne dans les termes du débat sur l'objet de la philosophie première chez Avicenne puis Averroès. Certes, fondu dans le péripatétisme, l'aristotélisme authentique se leste progressivement de questions nouvelles qui, bien souvent, le déforment où l'altèrent. C'est le cas, notamment, de la réduction de la problématique de la multiplicité des sens de l'être à la doctrine dite de l'«  analogie ». Lointainement préparée par les analyses de Boèce sur l'homonymie et la synonymie, puis directement issue de l'interprétation averroïste du quatrième livre de la Métaphysique et de la réflexion arabe (Avicenne, Ghazālī) sur le statut des paronymes d'accident, travaillée en outre par les diverses harmoniques de l'analogia dionysienne, la notion thomiste de l'analogia entis est certainement plus péripatéticienne et néoplatonicienne qu'aristotélicienne au sens moderne du terme. Elle n'en est pas moins exemplaire de la place d'Aristote dans la métaphysique médiévale : celle d'un auteur que les commentateurs grecs et arabes ont, si l'on ose dire, toujours déjà « péripatétisé ».

Par la pluralité des emprunts et des reports, qui font qu'Aristote est à la philosophie médiévale ce que la Bible est à la Doctrine sacrée, l'image du Stagirite est souvent statique. Elle est cependant rarement inauthentique. C'est dans les écrits biologiques (les Parva naturalia, le De animalibus) que l'empirisme aristotélicien donne sa vraie mesure : le « Philosophe » y est la source et la référence obligées de toute pratique, à la fois norme du savoir et modèle de l'investigation. Complété par les traités de médecine et d'optique arabes (la Perspectiva d'Alhazen), le corpus scientifique d'Aristote est le premier terrain où se forge la notion médiévale de l'experimentum. Mais c'est paradoxalement sur le terrain plus général de la philosophie de la nature et de la physique que, malgré l'hypothèque du problème de la création, le Moyen Âge tardif rencontre le plus étroitement l'aristotélisme. De fait, il lui emprunte l'essentiel, à savoir la détermination de l'objet de la physique : la nature (définie comme « le principe et la cause du mouvement et du repos des choses en lesquelles elle réside immédiatement, par essence et non par accident », 192 b 21-23) et, par conséquent aussi, le mouvement (puisqu'on ne saurait connaître[...]

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Écrit par

  • : agrégé de philosophie, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses), chaire histoire des théologies chrétiennes dans l'Occident médiéval

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Aristote - Stagire (Macédoine) - crédits : Argus/ Fotolia

Aristote - Stagire (Macédoine)

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