SHAIKHET ARKADI (1889-1959)
Figure représentative du « documentaire artistique » de la photographie soviétique, Arkadi Samoïlovich Shaikhet naît en 1889 dans la ville de Nicolaïev en Ukraine où il accomplira ses études primaires avant de suivre un apprentissage dans l'atelier de serrurerie d'un chantier naval. À l'âge de vingt ans, il s'installe à Moscou où sa dextérité lui vaut d'être employé comme retoucheur dans un atelier de photographie. Le jeune homme acquiert bientôt une assez bonne connaissance de la technique de prise de vue pour intégrer l'équipe de photographes du journal RabotchaïaGazeta.
Le pictorialisme hérité de la photographie russe de l'ancien régime des tsars marque le début d'une production qui s'oriente très vite vers une perception humaniste de la jeune société soviétique. La partie sociale du reportage devient une préoccupation majeure du photographe qui, dans l'hebdomadaire Ogonek, signe en 1924 la photographie du boycott d'un commerce privé par des ouvriers acquis à la collectivisation. Ce reportage est à l'origine du domaine des sujets à long terme que Shaikhet est un des premiers à investir. Après un travail sur les grands ateliers de chaussures, il visite les campagnes, s'intéressant à la vie des paysans et des pêcheurs pauvres, aux conditions précaires dans lesquelles les avait laissés le servage en vigueur sous le régime impérial. Sa photographie de « La première ampoule électrique Ilitch » (1925), symbole d'une conversion radicale de la condition humaine s'inscrit avec justesse dans cette vision optimiste mais réaliste.
L'exposition monumentale Dix Ans de photographie soviétique, montée en 1928, à Moscou accueille l'importante production d'un photographe qui fête lui-même ses dix ans d'activité. Membre de l'Union révolutionnaire des photographes prolétaires opposée à l'esthétisme formel du groupe Octobre d'Alexandre Rodtchenko (1891-1956), développant avec un lyrisme sincère le thème de la révolution agricole et industrielle, Arkadi Shaikhet, n'aura pas à souffrir de la brutale orientation imprimée par la propagande stalinienne au début des années 1930. La série des inaugurations techniques du chemin de fer, des tracteurs défilant comme une armée vouée au bonheur et à la paix civile, des automobiles quittant, rutilantes, l'usine de Gorki, brossent une fresque de l'U.R.S.S. appréciée par un comité central en quête d'image. En cadrant en contre-plongée un adolescent au volant gigantesque d'une machine, le regard tourné en hors champ, fixant un avenir implicitement radieux, la photographie du « Jeune Komsomol » donne en 1931 une vision esthétique et moderne de l'industrialisation soviétique.
Membre à partir de 1930 de l'agence Soyouzfoto, Arkadi Shaikhet voit ses photographies jouir d'une reconnaissance à l'étranger. Ainsi le magazine allemand ArbeiterIllustrierte Zeitung (A.I.Z.) publiera en 1931 le long reportage « Vingt-quatre heures de la famille Filippov, ouvriers métallurgistes à l'usine Le Prolétaire rouge de Moscou », un sujet cher à la propagande du Kremlin, autour du régime social soutenu par le nouveau système d'allocations. L'adhésion aux directives du parti communiste permet à Shaikhet de jouir d'une certaine liberté, de développer la dimension narrative d'un travail qui n'occulte ni la misère ni le chômage dont souffrent encore les populations ouvrière et rurale tout en montrant le progrès qui les touche. Correspondant du journal FrontavaïaIllioustrata pendant toute la durée de la Seconde Guerre mondiale, Shaikhet n'aura de cesse de témoigner des souffrances des soldats de l'Armée rouge face à l'envahisseur allemand. Son travail lui vaudra deux distinctions, dont l'Ordre du drapeau rouge. Arkadi Shaikhet meurt à[...]
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Écrit par
- Hervé LE GOFF : professeur d'histoire de la photographie, critique
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