FARGE ARLETTE (1941- )
L'historienne Arlette Farge n'a pas suivi la voie royale de ceux que tout destine à l'Université et à la recherche. Née en 1941 à Charleville, elle a fait des études de droit, couronnées par un D.E.A. d'histoire du droit, puis a bifurqué vers l'histoire : Robert Mandrou dirige sa thèse sur le Vol d'aliments à Paris au XVIIIe siècle (1974). En préparant ce doctorat, elle va découvrir les bas-fonds de la capitale des Lumières et toute une misère négligée derrière la mondanité brillante et le jeu des idées philosophiques ; elle doit en effet se plonger dans les archives judiciaires qui conservent la transcription en français classique de la voix des pauvres, des errants, des marginaux. Par la suite, elle élargit sa première enquête par des essais comme Vivre dans la rue à Paris au XVIIIe siècle (1982), La Vie fragile. Violence, pouvoirs et solidarités au XVIIIe siècle (1986) ou Logiques de la foule. L'affaire des enlèvements d'enfants à Paris en 1750 (1988, en collaboration avec Jacques Revel). Pour faire parler les archives, pour rendre sensibles les émotions de ces pauvres gens d'autrefois aux limites de l'anonymat, il lui a fallu frayer de nouvelles pistes à la recherche historique et inventer d'autres formes d'expression.
Longtemps dominée par les enquêtes économiques et par la statistique, la recherche historique des années 1980 est en train de s'enrichir de perspectives culturelles et d'un souci du cas particulier, désigné comme « micro-histoire ». Au-delà de ces tendances historiographiques, de grandes figures intellectuelles ont jalonné l'itinéraire d'Arlette Farge et ont marqué sa personnalité par leur engagement à la fois théorique et social. Michel Foucault lui a appris l'analyse des mécanismes du pouvoir. Elle a rédigé avec lui Le Désordre des familles. Lettres de cachet des archives de la Bastille (1982). Un autre philosophe, Jacques Rancière, et son groupe des Révoltes logiques l'ont rendue sensible à l'effort de restituer la parole et l'imaginaire populaires. Pierre Bourdieu, enfin, a pu sembler travailler dans une perspective sociologique incompatible avec les recherches de Foucault ou de Rancière. Ses catégories de l'habitus et de la violence symbolique paraissent pourtant complémentaires à Arlette Farge. Aucun de ces théoriciens n'a fourni à celle-ci un système. Tous trois lui ont donné l'exemple d'une réflexion abstraite, inséparable d'une conscience militante et d'un travail du style. L'effervescence du féminisme et l'activisme de certaines historiennes ont également constitué une inspiration. Arlette Farge avait dès 1982 réuni et présenté une anthologie de textes de la Bibliothèque bleue véhiculant une image des femmes (Le Miroir des femmes, Montalba). Elle participe à la grande entreprise de l'Histoire des femmes en Occident, sous la direction de Georges Duby et de Michelle Perrot. Dans le tome consacré aux Temps modernes (1991), elle cherche une voie entre un féminisme qui privilégie le conflit entre les sexes et la tradition historiographique qui le relègue à l'arrière-plan. Sensible à ce que Pierre Bourdieu nomme « la domination masculine », elle n'en laisse pas moins sa place à la possibilité, entre hommes et femmes, de la connivence et de l'amour. Elle publie dans cette voie, avec Cécile Dauphin, des collectifs nourris de séminaires de l'E.H.E.S.S. où elle enseigne (De la violence et des femmes, 1997 ; Séduction et société. Approches historiques, 2001).
Un livre a marqué l'inflexion de ce qui était en train de devenir une grande œuvre atypique : Le Goût de l'archive (1989). Arlette Farge y raconte son métier de chercheuse au C.N.R.S., et s'interroge sur la transcription qui, de bribes, de murmures et de cris, reconstitue un discours[...]
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Écrit par
- Michel DELON : professeur de littérature française à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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