LUNEL ARMAND (1892-1977)
Professeur de philosophie, écrivain lauréat de plusieurs prix littéraires importants, conférencier, collaborateur de Darius Milhaud (auquel le liait une amitié jamais démentie qui datait de l'enfance). L'œuvre d'Armand Lunel est inséparable de la Provence, sa région natale, et de la Côte d'Azur, sa terre d'élection. Depuis son premier roman, L'Imagerie du cordier (1923), dans lequel il évoque des souvenirs de jeunesse, jusqu'à l'étude historique consacrée aux Juifs du Languedoc, de la Provence et des États français du pape, son dernier ouvrage, ce merveilleux conteur s'est constamment attaché à révéler un certain visage de la Provence. Un visage familier, malicieux et original.
Né à Aix-en-Provence, où son père était négociant, dans une famille juive originaire du comtat Venaissin, Armand Lunel a su en effet unir, en une même veine, une double inspiration : judaïque et provençale. Formé par un grand-père maternel érudit et admirateur de Mistral, il n'eut qu'à puiser dans l'œuvre d'un de ses ascendants, le rabbin poète Jacob de Lunel, le thème d'Esther de Carpentras, qu'il offrit en livret à Darius Milhaud, son condisciple, également israélite, du lycée d'Aix. Illustrée aussi par Les Malheurs d'Orphée, Maximilien, Barba Garbo, l'étroite collaboration entre cet écrivain délicat et sensible et le « fauve » du groupe des Six devait trouver son couronnement lors de la création de David (1955), ouvrage lyrique commandé pour le trimillénaire de Jérusalem.
La sensibilité judaïque d'Armand Lunel s'exprime encore lorsque des vacances passées à Carpentras lui donnent l'occasion de découvrir dans cette ville les résonances de l'affaire Dreyfus. C'est le thème de Niccolo Peccavi, livre pour lequel il reçoit en 1926 le prix Théophraste-Renaudot, attribué pour la première fois. Et, tels les machal hébraïques, à la fois récits et contes, fables et nouvelles, la plupart de ses ouvrages expriment une communion profonde entre l'âme et le paysage, les choses et le mystère.
Normalien et agrégé de philosophie, Armand Lunel avait accepté avec empressement, dès sa sortie de la rue d'Ulm, une chaire de professeur au lycée de Monaco. C'est donc à Monte-Carlo qu'il fit toute sa carrière. Amateur de folklore et d'antiquités, il se plaisait à parcourir une région qu'il connaissait mieux que nul autre. D'où Noire et Grise, Les Amandes d'Aix (l'un des plus beaux livres jamais écrits sur cette région), La Belle à la fontaine, ou encore J'ai vu vivre ma Provence, Le Balai de sorcière, consacré au vieux Nice.
Sa production littéraire, que vint couronner en 1976 le prix national des Lettres, ne connut qu'une interruption, provoquée par la Seconde Guerre mondiale. Destitué de sa chaire, Armand Lunel ne peut qu'assister à la tombée de l'« interminable nuit ». Le conteur se fait alors moraliste et polémiste pour relater en 1946 dans Par d'étranges chemins les scènes dont, mobilisé dans l'Est, il fut le témoin : l'arrestation pitoyable de deux maçons italiens le jour de la déclaration de guerre, la tentative de lynchage de deux pensionnaires échappés d'un asile et pris pour des espions, la retraite, l'immense cohue anonyme et désespérée des réfugiés, l'armistice enfin.
Homme de culture et d'engagement, cet universitaire au verbe simple et à l'affabilité méridionale avait gardé d'Alain, son maître au lycée Henri-IV, l'ardeur du combat pour l'esprit. Dénonçant sans relâche l'antisémitisme et le fascisme à la tribune de la Société européenne de culture, Armand Lunel avait entrepris peu avant sa mort de relater ce long itinéraire d'humaniste dans des Mémoires qu'il n'aura pu achever.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Gérard SÉNÉCA : journaliste
Classification