ARMÉE Doctrines et tactiques
La guerre change de nature
Masse, manœuvre et idéologie
La royauté française expirante léguait à la Révolution une armée dotée d'un règlement de manœuvre (1791), de l'amorce de l'organisation divisionnaire (1788) et d'un armement qui restera en service pendant toutes les guerres de la Révolution et de l'Empire (fusil 1777 et artillerie Gribeauval). La Révolution remplit ces structures de la masse des citoyens, les anima d'une idéologie dynamique et coiffa la nouvelle armée d'un commandement très centralisé qui finit par tomber entre les mains d'un des plus prestigieux chefs de guerre de tous les temps. Rare conjonction d'une pensée militaire qui avait su anticiper, d'innovations de circonstance imposées par une révolution des structures politiques et sociales, et du talent d'un chef hors du commun. Il s'ensuit une brutale mutation dans l'art de la guerre : les conflits à objectifs limités cèdent le pas à une guerre à caractère politique qui tend vers une guerre totale, c'est-à-dire mobilisant toutes les ressources humaines, psychologiques, économiques, techniques des pays, et aussi vers une guerre « absolue », ainsi que la définira Clausewitz, parce qu'elle met en cause l'existence même des États.
Les révolutionnaires comprennent qu'« à guerre nouvelle, doctrine nouvelle ». Saint-Just est le meilleur interprète de cette nécessité, définissant avec netteté l'indispensable harmonie entre les méthodes de combat et le contenu politique de la lutte : « ... L'art militaire de la monarchie ne nous convient plus [...]. Si la nation française est pressée dans cette guerre par toutes les passions fortes et généreuses, l'amour de la liberté, la haine des tyrans et de l'oppression [...] le système de guerre des armées françaises doit être l'ordre de choc. » Le choc implique la masse, la passion, l'impétuosité qui fait fi des combinaisons tactiques. Cette méthode de combat est d'ailleurs conforme au tempérament national, à qui ne convient pas une guerre d'automates, mais plutôt le combat des tirailleurs en grandes bandes.
E. Dubois-Crancé par l'amalgame et L. Carnot par son action au Comité de salut public apportent les correctifs nécessaires à une doctrine sans-culotte outrancière. Après les premières désillusions du choc de masses indisciplinées, les armées de la Révolution trouvent dans l'héritage acquis de la royauté un cadre assez souple pour combiner l'efficacité et l'ardeur de l'armée citoyenne. Carnot en formule les principes d'action : primauté de l'offensive, action par surprise, décision rapide, action de masse, « chercher l'art d'attaquer toujours l'ennemi là où il est faible et avec une supériorité de forces telle que la victoire ne puisse jamais être douteuse ».
Napoléon Bonaparte ne parla pas autrement. Il est d'ailleurs indissociable de la pensée militaire du xviiie siècle et des doctrines révolutionnaires. Nourri des théories de Guibert, élève du baron Du Teil – le père de la doctrine de l'artillerie axée sur les principes de la concentration et de la mobilité des feux –, héritier de l'armée révolutionnaire, Napoléon Bonaparte, avec son génie particulier, va donner, pendant plusieurs années, des solutions enfin satisfaisantes aux deux problèmes essentiels, celui – séculaire – de la combinaison du feu, du choc et du mouvement, l'autre – plus récent – né de l'ordre divisionnaire : concentration et dispersion. Mais les solutions napoléoniennes sont empiriques, nées des circonstances et non pas d'un corps de doctrines.
Napoléon donne l'exemple, pendant quelques années, d'une stratégie de guerre éclair qui mène à la destruction d'un ennemi aveuglé, fixé ou enveloppé. Grâce à une[...]
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Écrit par
- Jean DELMAS : docteur habilité à la recherche, diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris, ancien chef du service historique de l'Armée de terre
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Médias
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