- 1. Le poids des armes
- 2. La spécificité militaire
- 3. L'archétype atténué
- 4. Une spécificité contestée
- 5. La « civilianisation » de l'armée
- 6. La pression sociale
- 7. Pouvoir civil et pouvoir militaire
- 8. L'armée, groupe de pression
- 9. Le complexe militaro-industriel
- 10. Les tâches extramilitaires de l'armée
- 11. L'intervention de l'armée
- 12. Bibliographie
ARMÉE Pouvoir et société
« Le premier qui fut roi fut un soldat heureux. » Compléter l'aphorisme voltairien en rappelant que le monarque tend à s'entourer de ses lieutenants, à leur conférer charges et privilèges et à créer ainsi une noblesse militaire, c'est marquer la connivence entre le pouvoir et l'armée. Connivence ou rivalité. Tantôt le corps militaire, gardien de la souveraineté, est l'ombre portée du pouvoir, son dernier recours et son bras séculier ; tantôt, disposant de toute la force de l'État, il se pose en concurrent, prêt à abuser de ses armes et à les tourner contre celui qui les lui a confiées. Puissance incoercible que seul le peuple peut parfois égaler, encore que, comme le dit Lénine, on ne fasse pas « la révolution contre l'armée » !
Ces relations aussi étroites qu'ambiguës avec le pouvoir ne constituent pas, il est vrai, un cas unique. L'Église en connaît d'identiques : du couple pouvoir spirituel-pouvoir temporel au couple pouvoir civil-pouvoir militaire, on retrouve épisodiquement les mêmes débordements, les mêmes conflits et, pour y remédier, l'appel à des solutions voisines. « L'armée, toujours outre mesure honorée ou décriée », disait Vigny ; et Victor Hugo : « J'ai des rêves de guerre, dans mon âme inquiète, j'aurais été soldat si je n'étais poète. » Bref – est-ce le sang versé ? –, l'armée est, comme l'Église, une institution-mythe : on peut la « professionnaliser », la « civilianiser », l'adapter au modernisme, on ne peut jamais tout à fait la banaliser ni la considérer comme un simple service public.
Même face-à-face difficile avec la société. L'armée en vient, le soldat se situant, par définition, sur une trajectoire qui part de la vie civile pour y revenir. Elle en est le « miroir », dit Trotski, et « souffre de toutes ses maladies, normalement à une température plus élevée ». Elle est « l'expression la plus complète de son esprit », écrit de Gaulle dans Le Fil de l'épée. De même, Fustel de Coulanges dans La Cité antique : « L'état social et politique d'une nation est toujours en rapport avec la nature et la composition de ses armées. » Enfin, Quincy Wright dans Study of War : « Ce sont les conceptions morales, juridiques et politiques prévalant à un moment donné qui modèlent le plus les armées et déterminent la forme des conflits qu'elles sont appelées à mener. »
La fresque court des « gardiens de la cité », chers à Platon, aux troupes et milices populaires de l'époque moderne, en passant par Rome, qui, pendant huit siècles, à travers ses légions, ses prétoriens et ses alliés, se reflète au miroir de ses armées avant de mourir avec elles. De même, plus tard, la société féodale, condamnée avec ses derniers chevaliers. Viennent ensuite les forces monarchiques, vouées au formalisme par le souci des rois de ne pas compromettre l'équilibre auquel leur trône est lié ; les armées révolutionnaires et impériales, toutes de dynamisme ; enfin, à l'heure industrielle, la « nation armée ».
L'armée n'en garde pas moins une autonomie, une spécificité, une « grammaire » propre, différente souvent de la logique commune. Celles-ci, selon le contexte social et historique, peuvent être plus ou moins marquées. L'institution, par ailleurs, n'est pas homogène : elle est extrêmement diversifiée et comporte aujourd'hui des pans entiers proches par leurs activités d'entreprises civiles similaires. De même, dans le brassage général, tend-elle à se désenclaver sur le plan psychologique, l'époque n'étant plus où Psichari pouvait écrire : « L'armée, en temps de paix, ça sert à ce qu'il y ait des militaires. » Pour autant, le particularisme demeure. Il tient à la mission impartie au corps militaire mais aussi à un phénomène qu'à propos de la théorie[...]
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Écrit par
- Pierre DABEZIES : professeur à l'université de Paris-I, ancien président de la Fondation pour les études de défense nationale
Classification
Médias
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