- 1. Le poids des armes
- 2. La spécificité militaire
- 3. L'archétype atténué
- 4. Une spécificité contestée
- 5. La « civilianisation » de l'armée
- 6. La pression sociale
- 7. Pouvoir civil et pouvoir militaire
- 8. L'armée, groupe de pression
- 9. Le complexe militaro-industriel
- 10. Les tâches extramilitaires de l'armée
- 11. L'intervention de l'armée
- 12. Bibliographie
ARMÉE Pouvoir et société
L'intervention de l'armée
Les coups d'État latino-américains se comptant par centaines et les coups d'État africains, en moins de trente ans, par dizaines, on s'est beaucoup interrogé sur les causes de l'interventionnisme militaire en pays peu développés. Il arrive, en effet, tour à tour que l'armée sauve par la force un régime menacé, le laisse au contraire succomber à des menées révolutionnaires, arbitre un conflit national de façon désintéressée ou en profite, à l'inverse, pour s'imposer, enfin s'empare ex abrupto du pouvoir en toute illégalité.
Le contexte local est évidemment prééminent. Parfois, l'armée est désignée par la Constitution même comme garante des institutions ; parfois, issue des luttes de libération, elle fait partie de la classe politique et se conduit en parti dominant ; parfois, érigée en « armée populaire », elle s'arroge « au nom du peuple » la souveraineté. Le plus souvent, ce sont cependant sa spécificité, sa capacité technique, sa cohérence qui lui donnent une sorte de « légitimité technocratique » et la poussent à intervenir face à un pouvoir plus ou moins déliquescent. Tous les auteurs se rejoignent sur ce plan, Finer, Shils, Pye, Huntington, Janowitz : la faiblesse tant culturelle que structurelle de l'État et de la société appelle, par différence ou réaction, l'ingérence de l'armée.
Les causes immédiates sont toujours les mêmes. Tour à tour, horreur du désordre et de l'anarchie, pulsion antilibérale et refus de la politique politicienne ; grave problème national susceptible de mettre en cause l'unité du pays ; frustration corporatiste, lorsque le gouvernement notamment essaie de se préserver de l'armée en la dévalorisant ou en lui opposant polices ou milices ; rivalités internes et combats de chefs. S'ajoute souvent le rôle de puissances externes, s'efforçant, pour atteindre leurs desseins ou éliminer leurs rivales, de manipuler les clans militaires qui leur sont favorables, en particulier les anciens élèves de leurs écoles de cadets (Saint-Cyr, West Point, Sandhurst, etc.).
Le socle social est à prendre en compte, qui éclaire encore l'action menée. En Afrique, la structure de la société est très généralement bipolaire : une masse occupée à sa survie, sans conscience politique, et une mince élite égocentrée. L'armée, plus proche du peuple que cette dernière, sert de substitut à la classe moyenne en attendant qu'elle apparaisse. En Amérique du Sud, elle sert de volant régulateur à l'évolution sociale : elle assure la transition entre la domination latifundiaire et celle de la bourgeoisie des villes, entre l'élite nationale et l'élite cosmopolite, favorise l'émergence de la classe moyenne et freine les poussées ouvrières. En Asie, en Thaïlande en particulier, le phénomène est plus subtil.
Dernière caractéristique à souligner, elle aussi conforme à la spécificité militaire : l'armée, soucieuse, par réflexe, de l'ordre et de l'unité, comprend très bien que les privilégiés, agents d'inégalités et ferments de révolution sans le savoir, jouent, lorsqu'ils exagèrent, un rôle néfaste. Il lui arrive donc de s'opposer à eux et de prôner le socialisme : un socialisme national... ou un national-socialisme, qui bien entendu exclut les excès populaires. À gauche, mais pas au-delà ! C'est pourquoi, entre Trotski et Frounzé, l'Armée rouge est finalement devenue, quelle que soit sa posture théorique, une armée classique dont, le jour venu, les commissaires politiques ont été écartés. C'est pourquoi l'armée chinoise, un temps liée à la révolution culturelle, ne s'est pas fait prier quand on lui a demandé d'y mettre fin. Sans parler de l'armée portugaise ou de nombre de régimes militaires, dits « progressistes », qui ont mué en dictature pure et simple l'effervescence révolutionnaire[...]
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Écrit par
- Pierre DABEZIES : professeur à l'université de Paris-I, ancien président de la Fondation pour les études de défense nationale
Classification
Médias
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