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ARMÉE Pouvoir et société

Une spécificité contestée

La spécificité militaire, qu'on en fasse ou non une théorie, exprime des tendances lourdes, qui se manifestent notamment à chaque fois qu'à travers le monde une armée se marque par rapport au pouvoir ou à la société. Cependant, elle n'est pas sans soulever des objections et mérite, à ce titre, d'être relativisée.

Passons rapidement, car elles ne concernent que marginalement notre sujet, sur les réticences liées à la diversité tant « dans l'armée » que « des armées ». Il y a, évidemment, des différences entre les forces continentales et les forces britanniques, comme il y en a entre les armées française et américaine. Les armes peuvent changer, le contexte politique varier, la finalité, et par suite la psychologie de chacun, est néanmoins toujours la même : pour le vélite comme pour le fantassin, face à l'ennemi ; pour le soldat de Marathon comme pour l'agent de transmission moderne ; pour les forces spéciales isolées en pays hostile, comme, à Troie, pour les soldats d'Ulysse. À l'échelon suprême, la bataille de Cannes reste le modèle. Ainsi, le mimétisme militaire né des alliances et des affrontements jouant, une sorte d'« internationale » existe qui fait, d'ailleurs, que bien souvent les adversaires, lorsque l'occasion leur en est donnée, se retrouvent plus proches entre eux qu'ils ne le sont des concitoyens qu'ils protègent. Il en va de même de la diversité « dans » l'armée. Les techniciens, les sous-officiers, les parachutistes ou bien ceux que l'on nommait naguère les « riz-pain-sel » peuvent bien constituer des îlots séparés et échanger des quolibets : les uns et les autres n'en sont pas moins fonctionnellement liés, soumis à une hiérarchie unique, motivés par un corps d'officiers supérieurs qui donne le ton, crée l'esprit, assure une culture commune, conserve tel qu'en lui-même le système. Tous tournés vers une seule finalité ! Qu'on pense à Victor Hugo dans Waterloo :

Et lanciers, grenadiers aux guêtres de coutil, Dragons que Rome eût pris pour des légionnaires, Cuirassiers, canonniers qui traînaient des tonnerres.

Voilà la diversité ! Mais voici la synthèse :

Comprenant qu'ils allaient mourir dans cette fête, Saluèrent, d'un seul cri, leur dieu dans la tempête.

Plus ou moins marquée selon l'époque et le lieu, la spécificité de l'armée par rapport au pouvoir ou à la société est également contestée dans son principe même. Le débat sur la convergence de l'institution militaire avec cette dernière reste ainsi ouvert, après avoir nourri pendant près de trente ans la sociologie militaire dont il est l'un des fondements. Passons vite sur la thèse de la divergence, déjà exposée ; son plus ferme défenseur est le professeur Samuel Huntington, dont l'ouvrage de base, The Soldier and the State, date de 1957. Pour lui, la profession militaire a pour objet le « management de la violence » ; elle échappe aux motivations économiques aussi bien qu'au patriotisme passager du soldat citoyen ; elle est faite de l'amour du métier et du souci constant de la grandeur de l'État et du bien-être de la société, l'esprit militaire étant quant à lui pessimiste (tout est rapport de forces et conflit), communautaire (l'union, c'est l'ordre), tourné vers l'expérience passée (tradition et continuité), tourné aussi vers la recherche de la puissance, et insensible aux considérations étrangères à son domaine.

La thèse de la convergence recueille un nombre de suffrages beaucoup plus grand, du moins depuis que s'impose la modernité. Si l'on admet, en effet, que l'armée constitue traditionnellement un monde à part, force est de constater que l'évolution actuelle désenclave ce dernier. Voilà, d'ailleurs, qui est rassurant,[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-I, ancien président de la Fondation pour les études de défense nationale

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Médias

Soldats de la garde prétorienne - crédits :  Bridgeman Images

Soldats de la garde prétorienne

Chars amphibies - crédits : Bert Hardy/ Getty Images

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