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ARMÉE Pouvoir et société

Le complexe militaro-industriel

La montée du fascisme avant guerre, la primauté des armes durant le second conflit mondial, bientôt pérennisée par la course aux armements, et la mobilisation martiale impliquée par la guerre froide font fleurir, dans les années trente, quarante et cinquante, toute une littérature américaine consacrée à l'« État caserne », symbole de la domination totale du soldat dans la cité. La thèse fait notamment état des penchants d'extrême droite de certains généraux et de leurs liens avec des organes intégristes comme la John Birch Society, chère au sénateur McCarthy ; elle n'est pas sans fondement, alors qu'à la même époque on constate en France l'appartenance de nombreux officiers à la Cité catholique ou à Verbe, cénacles dont la philosophie est identique. Le phénomène, cependant, apparaît comme marginal. Le risque serait plutôt dans la « despécialisation fonctionnelle » de certains cadres de l'armée, poussés par l'évolution générale à s'intégrer dans les sphères économique et politique, et à militariser par là le pouvoir et la politique de l'État. Tendance inquiétante que le général Eisenhower, lors de son départ de la Maison-Blanche, dénonce sous le vocable de « complexe militaro-industriel », notion que d'innombrables analystes, en tête desquels Wright Mills, s'efforcent depuis d'éclairer.

Réalité ou mythe ? Les choses vont peut-être changer avec la disparition des blocs, l'impératif du développement et l'extension des droits de l'homme. Il n'en reste pas moins vrai que cinquante ans de conflits, fécondés par la technique, ont donné aux établissements militaires des grands pays, aux budgets de la défense et aux firmes d'armement une ampleur inégalée que les intérêts et la puissance conjugués des armées, des industriels et des hommes politiques associés n'ont cessé d'accentuer. Le phénomène se retrouve même dans certains États d'importance moyenne, comme la Turquie. Sa dominante est militaire, étant entendu que, au niveau où il se situe, les protagonistes se rejoignent, quelle que soit leur livrée, par leurs relations, leur origine sociale, leur comportement politique, leur conscience, enfin, que rien ne sépare plus l'intérêt public et l'intérêt privé.

C'est évidemment aux États-Unis, où l'on connaît le rôle joué tant par les commissions sénatoriales de la défense et de l'énergie atomique que par la C.I.A. ou par le Conseil national de sécurité, que l'alliance est la plus visible. Fort de moyens de recherche considérables qu'illustrent l'aventure spatiale et la guerre des étoiles, le « pentagonisme », épaulé par une pléiade de généraux ou d'amiraux à la retraite, exerce une influence majeure, au niveau domestique comme à l'échelle planétaire : lobbying permanent et pressions sur l'Administration et le Congrès, mobilisation d'associations ou de ligues à optique militariste, manipulation de l'opinion publique et des Alliés, avantages donnés à des élus sous forme d'implantations ou de prestations militaires dans leur État, contrats et commandes aux intellectuels et aux firmes souvent couverts par le « secret », etc. Comme toujours aux États-Unis, la finalité a deux visages : celui de l'idéal et celui de l'intérêt – esprit des affaires et esprit de croisade –, la recherche de la prospérité s'accompagnant d'une véritable croyance sociale dans la guerre froide qui, comme Galbraith l'a noté, a pris par là une ampleur démesurée pour le plus grand bien des ventes d'armes et du leadership mondial américain.

En France, l'échelle est moindre, mais le problème est un peu le même. Deux caractéristiques importantes sont, toutefois, à souligner : d'une part, les industries[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-I, ancien président de la Fondation pour les études de défense nationale

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Médias

Soldats de la garde prétorienne - crédits :  Bridgeman Images

Soldats de la garde prétorienne

Chars amphibies - crédits : Bert Hardy/ Getty Images

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Alfred Dreyfus - crédits : Aaron Gerschel/ A. Dagli Orti/ De Agostini/ Getty Images

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