JORDAN ARMIN (1932-2006)
Le chef d'orchestre suisse Armin Jordan était considéré dans son pays comme le successeur d'Ernest Ansermet. Mais, au-delà de cet héritage très lourd, qu'il a assumé à la tête de l'Orchestre de la Suisse romande, Jordan était l'une des figures les plus aimées et les plus atypiques de la direction d'orchestre de son temps.
Il naît à Lucerne le 9 avril 1932, d'un père alémanique et d'une mère romande, ce qui lui permet d'être élevé dans les deux cultures. Il commence à étudier le piano à l'âge de douze ans puis poursuit des études universitaires à Fribourg (lettres, droit et théologie) tout en travaillant au Conservatoire de cette même ville. Il suit les cours de direction d'orchestre de Hans Haug au Conservatoire de Lausanne et travaille à Genève avec Maroussia Lemarc'hadour, qui lui révèle les secrets de l'accompagnement d'opéra. En 1949, il forme un petit orchestre à Fribourg, l'Orchestre Pro Musica, et est engagé comme répétiteur au Théâtre de Bienne-Soleure. Pendant six ans, il gravit les marches de la hiérarchie, dirige son premier opéra en 1957, et apprend toutes les ficelles du répertoire lyrique avant d'être nommé à l'Opéra de Zurich (1963-1968), où il côtoie Carlos Kleiber, à l'aube de sa carrière également. Il occupe ensuite des fonctions analogues à Saint-Gall (1968-1971) puis est nommé chef permanent (1969) et directeur musical (1973-1989) à l'Opéra de Bâle. Entre 1973 et 1985, il est à la tête de l'Orchestre de chambre de Lausanne, qu'il rénove entièrement et hisse au niveau des meilleures phalanges helvétiques. Puis il est le premier chef suisse depuis Ernest Ansermet à occuper la direction musicale de l'Orchestre de la Suisse romande, à Genève (1985-1997). Là aussi, il mène à bien une politique de renouveau spectaculaire. Entre 1986 et 1993, il est en outre chef invité privilégié de l'Ensemble orchestral de Paris : troisième sauvetage d'orchestre en péril. Il décide alors de ne plus diriger qu'en invité. En France, il est un habitué de l'Opéra national de Paris, de l'Orchestre de Paris et des orchestres de Radio France, avec lesquels il signe des enregistrements qui font date. Car son répertoire et sa curiosité artistique n'ont pas de limites : il exhume des opéras de Lalo (Le Roi d'Ys), Chausson (Le Roi Arthus), Dukas (Ariane et Barbe-Bleue) ou Zemlinsky (Une tragédie florentine) ; il est aussi à l'aise dans Mahler et les expressionnistes viennois que dans le répertoire français ; à Lausanne ou avec l'Ensemble orchestral de Paris, il cultive Haydn et Mozart dans l'esprit de la musique de chambre ; il dirige la plupart des opéras de Wagner et crée nombre d'œuvres contemporaines sans a priori de style ou d'école (Jean Françaix, Luciano Berio, Ivo Malec, Norbert Moret, Girolamo Arrigo, Heinz Holliger...). Il dirige la bande sonore du film de Hans-Jürgen Syberberg Parsifal (1982), dans lequel il tient le rôle d'Amfortas. Mais ce bon vivant ne cherche pas à se ménager, il aime trop la vie. Terrassé en pleine représentation de L'Amour des trois oranges, il meurt à Bâle le 19 septembre 2006.
Les musiciens de tous les orchestres avec lesquels il a travaillé le vénéraient. Ami plutôt que chef, sans jamais tomber dans la démagogie, il savait trouver le langage pour les mettre en valeur et leur permettre de donner le meilleur d'eux-mêmes. Le star system lui faisait horreur, d'où son refus de diriger aux États-Unis, sauf pour les tournées de l'Orchestre de la Suisse romande. Mais il acceptait des invitations d'orchestres ou d'opéras de province. Il savait tirer d'un orchestre des couleurs subtiles, il savait créer un style élégant, il savait éliminer le brillant inutile pour redonner à la musique sa force première. C'est un chef qui aimait surprendre.[...]
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Écrit par
- Alain PÂRIS : chef d'orchestre, musicologue, producteur à Radio-France
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