Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

ARNAUD ou ARNAUT DANIEL (actif de 1180 à 1200)

Ezra Pound nous met en garde : « Aucune étude de la poésie européenne ne saurait prétendre au sérieux si elle ne commence tout d'abord par une étude de cet art en Provence », écrit-il. Arnaud Daniel fut certainement, parmi les troubadours, l'un des plus habiles artisans de l'ancien provençal. Dante lui-même en fait un vif éloge dans le « Purgatoire », où il le surnomme « le meilleur forgeron de sa langue maternelle » (il miglior fabbro). Cette appréciation a eu une résonance si forte dans la poésie occidentale que même au xxe siècle T. S. Eliot — qui contribua de la façon la plus éclatante à la redécouverte d'Arnaud — l'utilise dans la langue originale pour la dédicace de son poème The Waste Land à Ezra Pound. Dans le Canto 29, Ezra Pound, à son tour, mentionne Arnaud pour faire référence à son ami Eliot.

Le razo d'Arnaud (sa biographie officielle) nous conte sa naissance à Ribérac en Dordogne. La tradition rapporte qu'il vécut par la suite à la cour de Richard Cœur de Lion et qu'il parcourut de nombreux territoires. Cependant, les véritables détails de sa vie restent pour la plupart inconnus, et nous ne possédons à l'heure actuelle que dix-huit de ses poèmes, qui permettent néanmoins de le classer parmi les meilleurs représentants du trobar ric, défini comme « concentration accrue de l'intensité de la forme », et du trobar clus ou « vers complexes ouverts seulement aux initiés ».

Dans le Traité de l'éloquence, Dante analyse la riche beauté formelle d'Arnaud. On ne saurait oublier que ce dernier fut l'inventeur de la sestine — six vers de six stances chacun —, introduite en Italie par Dante et en Espagne par le « Divin » Fernando de Herrera, alors qu'en France on doit sa découverte à la Pléiade et, quelques siècles plus tard, à la génération romantique.

L'originalité d'Arnaud réside dans le refus de la banalité, l'ennemie par excellence : ses vers, concrets dans leur complexité, dénotent une précision adroite jamais dissimulée par le jargon de l'abstraction. Cela explique sans doute pourquoi, dans le Purgatoire, Dante le laisse s'exprimer dans sa langue maternelle plutôt qu'en italien :Ieu sui Arnaut qui plor e vau cantan (Je suis Arnaud qui pleure et vais chantant).

Nul autre n'a reçu un tel honneur dans La Divine Comédie. C'est dans ce vingt-sixième canto que le maître poétique de Dante, Guido Guinizelli (fondateur du « dolce stil nuovo »), désigne Arnaud Daniel et du même coup l'immortalise comme il miglior fabbro.

Dante ne fut pas le seul à rendre hommage à Arnaud. Pétrarque aussi lui vouait un profond respect, l'appelant le gran maestro d'amore (le grand maître d'amour chevaleresque) : on ne saurait oublier en outre que Laura de Pétrarque fait écho au poème d'Arnaud intitulé L'Aura Amora. Ce poème fait preuve d'une grande virtuosité lyrique que les troubadours nomment motz et sons (langage et son musical des vers) : Ezra Pound s'est d'ailleurs risqué à une interprétation peu orthodoxe de ce poème, dont il comparait les rimes au gazouillis des oiseaux en automne. Selon le poète américain toujours, les années 1200 nous ont légué deux précieux héritages : « l'église de San Zeno et Arnaud Daniel », et si le troubadour resta ignoré si longtemps c'est, toujours d'après Pound, que « le monde universitaire n'entend rien à la poésie ».

— Joël SHAPIRO

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : chargé de cours à l'université de Paris-III (littérature comparée)

Classification

Autres références

  • CHANSONS, Arnaut Daniel - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 990 mots

    Du troubadour Arnaut Daniel, « gentilhomme de Ribérac » (comme le dit Aragon dans La Leçon de Ribérac ou l'Europe française) et né vers 1150-1160, ont été conservées peu de choses : un sirventès (poème satirique) obscène, seize cansos (chansons d'amour) et une « sextine », forme...

  • MOYEN ÂGE - La poésie lyrique

    • Écrit par
    • 5 690 mots
    ...serviteur, a voulu surmonter par son mérite poétique la distance sociale qui le séparait d'une grande dame dont il était amoureux (Aliénor d'Aquitaine). Avec Arnaut Daniel (1180-1210), le travail du style poétique aboutit à des prouesses techniques (combinaison arithmétique des rimes) valorisées par cette exigence...
  • OCCITANES LANGUE ET LITTÉRATURE

    • Écrit par , et
    • 7 327 mots
    • 1 média
    ...travers les œuvres magistrales de Bernard de Ventadour, de Raimbaut d'Aurenja, de la comtesse de Die, de Peire d'Alvernha suivis de Giraut de Bornelh, Arnaud Daniel, Arnaud de Maruelh, Peire Vidal, Peire de Vic, Gaulcelm Faidit, et plus tard encore de Sordel et de Guiraud Riquier.