DESPLECHIN ARNAUD (1960- )
Il est rare qu'un film d'une cinquantaine de minutes trouve un distributeur, plus encore qu'il apporte la notoriété à son réalisateur. Ce fut pourtant le cas de La Vie des morts (1990), salué comme un « film d’auteur » par la critique et un large public cinéphile. Film d’auteur non parce que Arnaud Desplechin aurait mis en scène sa propre histoire, mais précisément parce que, d’emblée, il travaillait une dimension précise du matériau cinéma, en l’occurrence l’histoire sous tous ses aspects, comme le cadre est l’enjeu du cinéma de Griffith, la discontinuité celui de Godard. Dans l’œuvre de Desplechin, l’histoire d’un individu (Esther Kahn, 2000 ; Jimmy P., 2013) importe moins que celle d’une famille, souvent recomposée (La Vie des morts ; Rois et reine, 2004 ; Un conte de Noël, 2008), avec bâtards et lignée légitime, adoptions et bannissements (La Forêt, réalisé pour la télévision en 2014, d’après la pièce d’Alexandre Ostrovski). L’histoire de chacun s’inscrit également dans le corps et dans l’esprit : la psychanalyse y est omniprésente, de Comment je me suis disputé... (ma vie sexuelle) (1996) à Jimmy P. L’histoire, enfin, se manifeste à travers les combats économico-politiques (En jouant « Dans la compagnie des hommes », 2003), le rôle des états dominants (Yalta au début de La Sentinelle, 1992) ou des communautés meurtries : aux Juifs régulièrement évoqués répond l’Amérindien Jimmy P. Histoires également de vie et de mort, puisque cette dernière est au cœur de l’œuvre.
Arnaud Desplechin est né à Roubaix le 31 octobre 1960 dans une famille modeste. Son père est représentant de commerce, sa mère femme au foyer puis formatrice pour adultes. Tous deux sont des militants catholiques de gauche. Arnaud a une sœur aînée, Marie, qui deviendra romancière. Il a pour cadets les jumeaux Fabrice (par la suite diplomate et acteur) et Raphaëlle (Valbrune-Desplechin), scénariste. À l’université Paris-III puis à l'IDHEC (section prise de vues et réalisation), Arnaud Desplechin est marqué par des enseignants issus des Cahiers du cinéma : Serge Daney, Jean Douchet et Pascal Kané. De 1984 à 1990, il est chef-opérateur (La Photo, N. Papatakis), et collabore à des scénarios de films d'Éric Barbier, Pascale Ferran et Éric Rochant (Un monde sans pitié).
Des histoires en réseau
La Vie des morts rassemble jeunes et adultes appartenant à une même famille. Ils ne se connaissent pas toujours et se retrouvent dans une grande maison bourgeoise du nord de la France, après que Patrick a tenté de mettre fin à ses jours. Dans l’attente de sa disparition inéluctable, les conversations tournent autour de la mort, évidemment, des sentiments, des cousins, des oncles. On écoute de la musique, on joue au foot... Pas d’intrigue, sinon la découverte du lien obscur qui unit les personnages, au-delà des différences d'âge, de condition, de préoccupations. Des proches du mourant aux cousins éloignés, tous semblent perdus, incapables de maîtriser la situation. Celle-ci est résumée aux premières images du film, lorsque l’on voit le frère de Patrick en train de scier les branches d’un arbre : il faut que des branches tombent pour que d’autres naissent, et que l’arbre vive. La vie croît sur l’humus, la décomposition, la mort.
Le film qui suit, La Sentinelle, surprend, au cœur d'un cinéma français plutôt porté à l'intimisme. Quoique l'auteur l'ait écrit en collaboration avec Pascale Ferran, Noémie Lvovsky et Emmanuel Salinger, le scénario évoque les romans de John Le Carré. Y sont évoquées, en arrière-plan, les relations Est-Ouest, du nazisme à la chute du Mur de Berlin en passant par la guerre froide, à travers l'aventure de Mathias (Emmanuel Salinger), apprenti médecin légiste et fils de diplomate, qui, après avoir découvert une tête momifiée dans ses bagages,[...]
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Écrit par
- Joël MAGNY
: critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux
Cahiers du cinéma
Classification
Média
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