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DESPLECHIN ARNAUD (1960- )

L’impossible simplicité

Que peut être Un conte de Noël signé par Arnaud Desplechin ? Affrontements et règlements de comptes, dans la famille Vuillard à Roubaix, sont bien présents pour cette soirée magique. Pourtant, Un conte de Noël n’a pas la fébrilité de Rois et reine. N’était la violence des dialogues parfois, on pourrait parler de film feutré. La question de la greffe qui est au cœur du film rejoint la métaphore de l’arbre rencontrée au début de La Vie des morts. Il s’agit ici d’une greffe de moelle osseuse dont a besoin Junon (Catherine Deneuve). Son fils, Henri (Mathieu Amalric), et son petit-fils, Paul (Émile Berling), sont des donneurs compatibles. Mais la compatibilité biologique ne correspond pas nécessairement à celle des relations affectives et familiales... Il y a des rejets, comme le prouve le cri de Junon lançant : « Henri vient de mon ventre, je reprends aujourd’hui ce qui m’appartient ! » Arnaud Desplechin filme l’horreur de ce roman familial avec une sorte de détachement, mêlant la comédie – le burlesque même, avec la complicité d’Amalric – au drame, que Catherine Deneuve élève au niveau de la tragédie.

Dans Jimmy P. (Psychothérapie d’un Indien des plaines), d’après le livre de Georges Devereux, la psychanalyse occupe la place qui était celle du théâtre dans Esther Kahn. En effet, malgré les longues séances d’analyse qui constituent la majeure partie du film, ce n’est pas ce que celles-ci font remonter à la surface qui compte. Importe au premier chef la relation qui se construit entre Jimmy Picard (Benicio Del Toro) et Georges Devereux (Mathieu Amalric). Pour soigner le premier Indien Blackfoot et vétéran de la Seconde Guerre mondiale, qui souffre de graves troubles sans causes physiques décelables, l’hôpital de Topeka (Kansas) a fait appel au Français Devereux, psychanalyste et surtout ethnologue spécialiste des Indiens d’Amérique du Nord. Les deux hommes sont issus de groupes marqués par un génocide, l’un en tant qu’Indien, le second comme Juif roumain naturalisé français. Comme toujours chez Desplechin, sentiments et conflits vont de pair. Jimmy P. est pourtant, une fois exposée l’horreur refoulée ou imaginée, un film apaisé, qui débouche sur la seule vraie émotion du film, lorsque les deux héros se séparent. Un apaisement que la caméra de Desplechin filme avec un classicisme retrouvé. L’impétuosité de ce cinéma trouve-t-elle ses limites dans le fait d’avoir ici affaire à une histoire vraie ?

Si Arnaud Desplechin est fortement marqué par la génération des cinéastes de la nouvelle vague qu’il considère comme sa famille, il ne se pose jamais en imitateur de Truffaut, de Godard ou de Rivette. Il se veut un héritier au sens biologique et généalogique du terme : non pas un fils mais un frère, aime-t-il dire. Tout en étant, à la manière de Truffaut, un raconteur d’histoire, il ne cesse d’interroger les récits issus de la sienne propre, comme celle du personnage d’Antoine Doinel s’échappait de l’homme Truffaut. Mais l’illusion est passée d’un cinéma qui plongerait dans le passé pour en déployer la vérité. Autobiographique – même si le spectateur l’ignore –, généalogique, le cinéma de Desplechin n’est plus ce train qui avançait sans encombre dans la nuit dont parlait Truffaut dans La Nuit américaine. Raconter une histoire, c’est nécessairement remonter le cours du temps, inverser le processus de la vie, contredire la belle dramaturgie du film classique ou encore revenir à Roubaix, la ville natale, mais en changeant totalement son regard sur elle (Roubaix, une lumière, 2019). C’est toucher au vif la contradiction incluse dès le titre du premier film d’Arnaud Desplechin, La Vie des morts. Ce cinéma est ainsi écartelé entre une complexité toute moderne et la recherche d’une simplicité classique désormais impossible. Il répond à ce célèbre[...]

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Écrit par

  • : critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux Cahiers du cinéma

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Média

Réalisateur de film, un rôle rêvé, Arnaud Desplechin - crédits : Encyclopædia Universalis France

Réalisateur de film, un rôle rêvé, Arnaud Desplechin

Autres références

  • ESTHER KAHN (A. Desplechin)

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  • ROIS ET REINE (A. Desplechin)

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    Prix Louis-Delluc 2004, Rois et reine confirme le grand talent d'Arnaud Desplechin. On y voit s'affronter une reine et plusieurs rois. La reine, c'est Nora (Emmanuelle Devos), une jeune femme séduisante de trente-cinq ans, directrice d'une galerie d'art parisienne. Quant aux rois, ce sont les personnages...

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    • 1 088 mots

    C’est, en 1996, avec Comment je me suis disputé...(ma vie sexuelle)que le personnage de Paul Dédalus fait son apparition dans l’œuvre d’Arnaud Desplechin : figure hybride, qui emprunte tout à la fois au Stephen Dedalus imaginé par James Joyce, à l’Antoine Doinel de François Truffaut...

  • UN CONTE DE NOËL (A. Desplechin)

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    • 1 103 mots

    On dirait à première vue l'archétype d'une grande famille bourgeoise (trois générations Vuillard, soit une bonne dizaine de personnages principaux) exceptionnellement réunie pour Noël autour de Junon, la mère (Catherine Deneuve), dont l'état de santé nécessite une greffe de la moelle osseuse. Mais c'est...

  • AMALRIC MATHIEU (1965- )

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    En une vingtaine d'années, Mathieu Amalric est devenu l'acteur symbole de toute une génération du cinéma français, celle notamment d'Arnaud Desplechin et des frères Larrieu. Après de modestes débuts dans Les Favoris de la lune d'Otar Iosseliani (1984), il obtiendra le césar...

  • CINÉMA (Aspects généraux) - Histoire

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    ...sentimentales (2000) de Jacques Chardonne, qui le conduit à abandonner l'évocation du petit monde parisien et à se consacrer à des formes nouvelles. Arnaud Desplechin, lui, s'est fait connaître avec le moyen-métrage La Vie des morts (1991), chronique familiale sensible et d'une grande inventivité...
  • FRANCE (Arts et culture) - Le cinéma

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    De son côté, Pascal Caucheteux, après avoir produit le moyen-métrage d’Arnaud DesplechinLa Vie des morts (1990), fonde Why Not Productions pour financer La Sentinelle (1992), premier long-métrage à gros budget (vingt millions de francs, treize semaines de tournage) de celui qui va devenir le...