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TOYNBEE ARNOLD JOSEPH (1889-1975)

Les civilisations et leur genèse

Helléniste de formation, Toynbee fut frappé, pendant la guerre de 1914-1918, par le parallélisme étroit qui pouvait être établi entre la crise qui secouait l'Europe et la guerre du Péloponnèse décrite par Thucydide. Cette constatation lui fit entrevoir, comme il le raconte lui-même, que toutes les civilisations sont « philosophiquement contemporaines » et que leur étude comparée doit permettre de déterminer un certain nombre de constantes. Il retrouvait là, sans le savoir, le postulat sur lequel Spengler, au même moment, fondait son ouvrage, Le Déclin de l'Occident. La lecture de cet ouvrage impressionna Toynbee sans le faire renoncer à son projet, dans la mesure où le fatalisme biologique et le dogmatisme métaphysique du philosophe allemand heurtaient son empirisme anglo-saxon.

L'« unité intelligible » qui s'offre à l'étude de l'historien, selon Toynbee, n'est ni l'humanité considérée comme un tout, ni la nation, mais la « civilisation ». La civilisation ainsi entendue est proche, à bien des égards, de la culture au sens spenglérien ; cependant elle n'est pas un organisme, elle résulte de relations interindividuelles, et sa naissance, son évolution, ses réussites, ses échecs ont une signification spirituelle et témoignent de l'effort des hommes pour dépasser le stade de l'humanité primitive. Par ailleurs, les civilisations ont des rapports entre elles et ne sont pas totalement refermées sur elles-mêmes comme le sont les cultures chez Spengler. Sans clairement définir ses critères théoriques, et en prenant comme modèle la civilisation gréco-romaine (qu'il appelle la civilisation hellénique), Toynbee distingue ainsi vingt et une civilisations, passées ou présentes, auxquelles il faut ajouter des civilisations « fossiles », « avortées » ou « immobilisées ».

Comment ces civilisations se sont-elles dégagées de l'humanité primitive et ont-elles émergé en tant que telles ? Toynbee refuse l'explication par des facteurs déterminants, race ou environnement. L'environnement géographique et humain ne joue un rôle que dans la mesure où il pose un défi aux hommes. Selon un schéma emprunté au Bergson des Deux Sources de la morale et de la religion, le développement de chaque civilisation se traduit par un passage du statique au dynamique, dont le principe se trouve dans les défis qui sont proposés à un groupe social et auxquels une minorité créatrice, à l'intérieur de ce groupe, est capable de trouver une réponse. Au fur et à mesure que se succèdent défis et réponses et que la civilisation se développe et s'affirme, les défis proviennent moins du monde extérieur, physique et humain, que du « for intérieur ». Les valeurs de la société se dématérialisent et se spiritualisent, et le progrès d'une civilisation se mesure moins à son extension géographique ou à sa puissance technologique qu'à sa capacité de s'acheminer vers l'autodétermination.

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Écrit par

  • : maître de conférences honoraire à l'université de Paris-X-Nanterre

Classification

Autres références

  • DÉCADENCE

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    • 9 946 mots
    Simples variations dans l'expression, les catégories – chères à A.Toynbee – de « prolétariat intérieur » et de « prolétariat extérieur » renvoient implicitement aux deux sortes d'ennemis mis en scène par saint Ambroise, ainsi qu'aux deux séries de causes discernées par Polybe, d'une part, l'aggravation...