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SCHÖNBERG ARNOLD (1874-1951)

La phase dodécaphonique

Une loi, c'est précisément ce qu'il cherche ardemment à formuler dans le domaine du langage musical. Il en a l'intuition dès les années de guerre, et la soudaine « révélation » durant les vacances d'été de 1921. Avec la mise au point de la méthode d'écriture avec douze sons, il croit « avoir assuré la suprématie de la musique allemande pour les cent prochaines années ». On sait que l'avenir lui a donné tort, même si le rayonnement de sa pensée et de son œuvre reste immense. Comme toute méthode contraignante, celle-ci comportait le risque de l'académisme et du formalisme, et les premières œuvres dodécaphoniques de Schönberg souffrent certainement d'une certaine sécheresse cérébrale, et sont parfois même rebutantes, comme le Quintette à vent, op. 26, redoutable pensum. Il n'est pas difficile d'adresser au système des critiques fondamentales : prenant le tempérament égal comme base intangible, il ne tient pas compte de la résonance naturelle, et supprime le paramètre de la tension harmonique en ne proposant aucune alternative à l'articulation cadentielle défunte. Mais il y a plus grave : une pièce donnée faisant usage simultanément, en superposition polyphonique, de différentes formes et transpositions de la série choisie, seule une analyse extrêmement laborieuse de la partition permet de dégager la fonction de chaque son, qui n'est donc plus perceptible à l'oreille, contrairement à ce qui se passait dans la musique tonale. L'organisation la plus poussée aboutit donc à un résultat sonore bien proche de l'arbitraire ! On peut dire que la musique dodécaphonique a suscité un certain nombre de chefs-d'œuvre, dont certains de Schönberg lui-même, presque en dépit du système : par leur essence expressive, ou même leur climat sonore, les grandes réussites dodécaphoniques de Schönberg (une fois passées les années moins fertiles) ne se différencient pas fondamentalement de ses œuvres atonales « libres », ou même des plus complexes de ses partitions tonales. Et chez son disciple Webern, le seuil menant du dernier opus « libre » au premier opus dodécaphonique est imperceptible à l'oreille...

1923 est l'année des premières œuvres dodécaphoniques, et même des premières œuvres achevées et publiées depuis plus de sept ans (op. 23, 24 et 25), l'année de la mort de sa première femme (il se remariera l'année suivante avec Gertrude, sœur de son élève Rudolf Kolisch), l'année enfin de sa rupture avec Kandinsky, influencé par les milieux antisémites du Bauhaus et qu'il met en garde (en 1923 !) contre Hitler. En 1926, Schönberg se réinstalle pour la dernière fois à Berlin, où il succède à Ferruccio Busoni à la chaire de composition de l'Académie des beaux-arts. Les années d'ascèse débouchent sur de nouveaux chefs-d'œuvre, dominés par les Variations pour orchestre, op. 31.

Après cette première partition orchestrale réalisée selon la nouvelle « loi », voici le premier opéra, Von heute auf morgen, qui se veut plaisant et divertissant. Mais c'est le galop d'essai avant une œuvre autrement importante, matériellement la plus vaste entreprise depuis les lointains Gurrelieder, mais spirituellement d'une portée tout autre : un grand drame biblique, Moïse et Aaron, dont les deux premiers actes sont composés entre 1930 et 1932 (le deuxième presque entièrement à Barcelone, où il passe l'hiver chez son élève Roberto Gerhard, pour fuir le climat berlinois devenu dangereux pour ses bronches). Le bref troisième acte, dont le texte existe, ne sera jamais mis en musique, mais l'œuvre est bel et bien complète ainsi, sinon achevée. Cette œuvre a été préparée par une page très peu connue, Der biblische Weg, drame en prose en trois actes qui traite d'un projet[...]

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Arnold Schönberg - crédits : L. Hassel/ Age Fotostock

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