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VAN GENNEP ARNOLD (1873-1957)

La notion décisive de « rite de passage »

« Livre capital », disions-nous des Rites de passage. Capital, en effet, dans l'œuvre de Van Gennep, pour qui, de son aveu même, c'était « comme un morceau de sa chair et le résultat d'une sorte d'illumination interne qui mit subitement fin à des sortes de ténèbres où je me débattais depuis près de dix ans ». Capital surtout parce qu'il met au jour un concept d'une très grande importance dans l'étude des sociétés humaines et de leur fonctionnement. Sans doute convient-il de se demander d'abord ce que sont les rites de passage.

Les rites de passage sont les rites qui accompagnent les changements de lieu, d'état, d'occupation, de situation sociale, d'âge. Ils rythment le déroulement de la vie humaine, « du berceau à la tombe ». Et, puisque cette vie humaine s'inscrit dans une périodicité naturelle, d'autres rites marquent les passages d'une année à l'autre, d'une saison à l'autre et d'une lunaison à l'autre. Ils comportent toujours trois stades successifs : de séparation, de marge, d'agrégation. Cette séquence se retrouve invariablement, en dépit du fait qu'un de ces stades puisse être plus ou moins marqué. On sait que Van Gennep insista toujours beaucoup sur la similitude des rites de passage et des passages matériels. Il entendait par passage matériel un col en montagne, un cours d'eau, le seuil d'une maison ou d'un temple, un portique, la frontière entre deux territoires ou pays, etc. Les rites de passage non seulement comportent très souvent dans leur cérémonial le franchissement réel d'un passage matériel, mais ils ont, en outre, pour modèle ces passages matériels, ils sont calqués sur eux. C'est dire que les rites de passage, en plus de leur caractère temporel évident dans leur forme – la succession des trois stades – et dans leur fonction – la scansion de l'écoulement du temps –, possèdent aussi une dimension spatiale moins manifeste au premier abord. Ils sont, grâce à ce double caractère, véritablement coextensifs à la nature humaine, qui s'inscrit à la fois dans le temps et dans l'espace.

L'apparente simplicité du schéma des rites de passage, et en particulier de la succession obligée des trois stades (la séquence cérémonielle), ne doit pas cacher ni réduire la complexité et la richesse des faits eux-mêmes, mais permettre de les ordonner. Il arrive parfois qu'un des stades soit plus développé ou plus accentué que les deux autres (ainsi le stade de séparation dans les rituels de la mort) ou que le stade de marge s'étende sur un intervalle de temps assez considérable pour constituer à son tour un rite de passage secondaire, pourvu des trois stades successifs. Parfois aussi, il se trouve qu'un rituel de séparation devienne, si on le considère par rapport à un autre ensemble, un rituel d'agrégation. Ainsi, les rituels de la mort sont, certes, des rituels de séparation d'avec le monde des vivants, mais aussi des rituels d'agrégation au monde de l'au-delà, quel que soit le système religieux à l'intérieur duquel ils sont célébrés.

En dépit de la fulgurance apparente de l'apparition de la notion de rite de passage dans l'œuvre de Van Gennep, on ne peut pas ne pas établir un lien entre son émergence et la publication en 1907 d'un long article de Robert Hertz, jeune sociologue dont l'œuvre pleine de promesses fut brutalement interrompue par une mort prématurée durant la guerre de 1914-1918. Dans cet article, intitulé « Contribution à une étude sur la représentation collective de la mort », R. Hertz étudiait la mort comme phénomène social nécessitant des rituels nombreux et complexes et comme représentation sociale d'un passage de la société visible des vivants à la société invisible des ancêtres[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales

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