ARRANGEURS DE LA CHANSON FRANÇAISE

Si une chanson est au départ une subtile union de paroles écrites par un auteur et d’un air créé par un compositeur, c’est grâce à un accompagnement musical approprié, fruit du travail d’un arrangeur, qu’elle prend toute sa valeur auprès de son interprète.

Arrangeurs ! Ce mot étonnant et baroque désigne un métier musical étroitement lié aux chansons qui ont marqué la mémoire collective. Si le grand public connaît Jacques Brel, Édith Piaf, Juliette Gréco, Serge Lama, Michel Berger ou encore Céline Dion, il ignore généralement le nom de leurs arrangeurs, tel Jean-Michel Defaye qui habilla Avec le temps, chanson culte de Léo Ferré, tandis que Paul Mauriat ciselait les arrangements de La Bohème pour Charles Aznavour. Comme le soulignait Charles Dumont : « Les arrangeurs sont des hommes de l’ombre dont on ne parle jamais. Ils sont d’une importance capitale car ils sont l’écrin de la chanson et, plus que l’écrin, ils sont aussi une partie du bijou. On leur donne les fleurs, ils en extraient le parfum ! »

Arranger une chanson est un métier de création, d’imagination musicale, qui vise notamment à harmoniser la mélodie composée au départ en l’enrichissant d’enchaînements d’accords. Parallèlement, l’arrangeur propose des couleurs et définit l’ambiance musicale de la chanson : jazz ou rock and roll, folk, funk ou blues, big band ou même classique. L’arrangeur peut aussi créer une introduction distinctive et une conclusion à la chanson, ou ajouter un contre-chant (seconde mélodie s’accordant harmoniquement avec la mélodie principale). Pour cela, connaître les paroles est souvent essentiel. « Je ne peux pas écrire un arrangement si je n'ai pas les paroles. », disait François Rauber (1933-2003), légendaire arrangeur de Jacques Brel, mais aussi d’Anne Sylvestre, de Juliette Gréco ou de Cora Vaucaire.

Autodidactes ou formés au conservatoire, les arrangeurs savent habituellement diriger un orchestre. C’est sur une partition d’orchestre, souvent désignée par son équivalent anglais score, qu’est transcrite l’esquisse imaginée par l’arrangeur. C’est ici qu’intervient la science de l’orchestration. Le chef d’orchestre-arrangeur est souvent lui-même l’orchestrateur de l’œuvre et il répartit pour les différents pupitres de l’orchestre les notes à jouer par chacun des musiciens. Il peut utiliser une section rythmique (clavier – piano, orgue, synthétiseur –, guitare basse, batterie et percussions), des cuivres (trompette, trombone, tuba), des bois (flûte, clarinette, saxophone, hautbois, cor anglais, accordéon), des cordes (violon, alto, violoncelle, contrebasse) et des choristes. Ainsi, l’arrangement et l’orchestration ornementent une chanson et soutiennent la voix du chanteur. Pendant des décennies, c’est sur du papier à musique qu’étaient écrits les scores. Dans les années 1980 sont apparus des logiciels d’écriture musicale, que la majorité des musiciens utilisent aujourd’hui, ainsi que certaines machines qui ont fait nettement évoluer le métier d’arrangeur.

À l’image d’éminents arrangeurs anglo-saxons, tels que George Martin, surnommé le « cinquième Beatle », Nelson Riddle, très impliqué dans la réussite de Frank Sinatra et de Nat King Cole, ou encore Quincy Jones lié de près à l’épopée de Michael Jackson, de nombreux hommes de l’ombre ont contribué à façonner dans l’Hexagone les plus beaux titres de la chanson française.

Années 1920-1940 : le temps des pionniers

Au début du xx^e siècle, rares sont les chefs d’orchestre-arrangeurs connus du public. Sur les disques 90 à 100-tours, puis 80-tours et 78-tours, on trouve parfois la mention « avec accompagnement d’orchestre », mais le nom du chef de la formation est rarement cité et la notion d’arrangement n’est pas vraiment évoquée.

En 1925, l’invention de l’enregistrement électrique[...]