ARS NOVA
Ars nova, tel est le titre d'un traité que le compositeur et théoricien Philippe de Vitry (1291-1361) écrivit à Paris vers 1320. Plus qu'un manifeste, c'était la prise de conscience d'une évolution esthétique, dont les signes précurseurs apparaissaient dans la seconde moitié du xiiie siècle. D'autres théoriciens, le « conservateur » Jacobus de Liège dans son Speculum musicae, le « progressiste » Johannes de Muris dans sa Musica speculativa de 1321, l'Italien Marchetus de Padoue (Pomerium artis musicae mensurabilis), l'Anglais Simon Tunstede (De quatuor principalibus musicae), constatent et contribuent à imposer les tendances nouvelles. Aussi bien la musicologie moderne a-t-elle attribué le terme ars nova à toute la production musicale du xive siècle, tant française qu'italienne et, par antithèse, a donné le nom d'ars antiqua à la musique du siècle précédent, celle de Léonin, de Pérotin et de son école, dite école de Notre-Dame.
Le cadre historique
Avant d'étudier l'aspect technique de cet art nouveau, il convient de le replacer dans son cadre historique.
Dans son ouvrage, Fondements d'un nouvel humanisme (Genève, 1966), Georges Duby écrit : « Incontestablement, le xive siècle ne fut pas dans l'ordre des valeurs culturelles un moment de contraction, mais bien au contraire de rare fécondité et de progrès. Il apparaît que les dégradations mêmes et les dérangements de la civilisation matérielle ont stimulé la marche en avant de la culture [...]. Tourmentés, les hommes de ce temps le furent certainement plus que leurs ancêtres, mais par les tensions et les luttes d'une libération novatrice. Tous ceux d'entre eux capables de réflexion eurent en tout cas le sentiment, et parfois jusqu'au vertige, de la modernité de leur époque. Ils avaient conscience d'ouvrir des voies, de les frayer. Ils se sentaient des hommes nouveaux. »
Ce modernisme se fait jour dès la fin du xiiie siècle : il s'annonce par la critique des hautes classes de la société dans la seconde partie du Roman de la Rose ; il éclate avec le Roman de Fauvel, satire violente écrite par Gervais du Bus entre 1310 et 1314. Le nom de Fauvel – l'âne rouge chargé de tous les vices du siècle – est composé des initiales des mots flatterie, avarice, vilenie, vanité, envie, lâcheté. Les grands de ce monde y sont pris à partie, et cette œuvre véritablement révolutionnaire comporte 132 pièces musicales, intercalées dans le texte par Chaillou de Pestain, les unes de facture ancienne, la plupart annonçant ou confirmant les tendances nouvelles (parmi ces pièces, on trouve quelques œuvres de jeunesse de Philippe de Vitry). Ce vigoureux réquisitoire se situe donc à la fin du règne de Philippe le Bel. Or, ce règne marque un tournant décisif dans l'évolution des mœurs et des idées. C'est sous Philippe le Bel que fut consacrée la rupture du pouvoir temporel avec l'autorité spirituelle, rupture dont les fameux démêlés du souverain avec le pape Boniface VIII sont l'illustration évidente. On peut constater avec René Guénon (Autorité spirituelle et pouvoir temporel, Paris, 1947) : « Les légistes de Philippe le Bel sont déjà bien avant les humanistes de la Renaissance les véritables précurseurs du laïcisme... »
La musique ne pouvait rester en marge de ce mouvement général des idées, et l'esprit nouveau qui anime les musiciens émeut à ce point les autorités de l'Église que d'Avignon le pape Jean XXII lance en 1324-1325 sa célèbre décrétale Docta sanctorum patrum dont voici le passage essentiel : « Certains disciples de la nouvelle école, tandis qu'ils mettent toute leur attention à mesurer les temps, s'appliquent à faire les notes de façon nouvelle, préfèrent composer leurs propres chants que chanter les anciens, divisent les pièces ecclésiastiques[...]
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Écrit par
- Roger BLANCHARD : musicologue
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