ARS NOVA
Les progrès de la notation
L'essentiel des innovations reprochées aux musiciens par Jean XXII trouve sa source dans les progrès de la notation. Depuis l'époque des neumes jusqu'à l' école de Notre-Dame, la notation musicale était restée imprécise. C'est aux disciples de Pérotin qu'il faut attribuer les premières réformes qui furent à l'origine de la notation dite proportionnelle (nota mensurabilis).
Les musiciens de l'école de Notre-Dame furent en effet les premiers à utiliser les ligatures, artifices graphiques destinés à définir le rythme selon l'accentuation brève-longue (ou vice versa). Il ne s'agissait encore que de la découverte d'un principe qui en se perfectionnant au cours du xiiie siècle allait mettre à la disposition des compositeurs un système cohérent et efficace. Cette notation fut enrichie par les deux Francon : Francon de Paris, qui fut maître de chapelle à Notre-Dame et que l'on tient généralement pour l'auteur de l'Ars cantus mensurabilis, et Francon de Cologne, auteur d'un Compendium discantus. La notation dite franconienne se caractérise par l'attribution aux notes de formes différentes selon leur durée ; ainsi se précisent les figurations de la longa, de la brevis et de la semi-brevis :
.Jusque-là, on ne connaissait que le rythme ternaire, considéré comme tempus perfectum en vertu d'un symbolisme hérité des théories pythagoriciennes transmises par le philosophe Boèce, néo-pythagoricien du ve siècle, vénéré par tous les musiciens du Moyen Âge. Le tempus perfectum était représenté par un cercle, la figure géométrique parfaite par excellence ; un peu plus tard apparaîtra le demi-cercle (ancêtre de notre lettre C indiquant la mesure à quatre temps) comme symbole de la mesure binaire. L'unité de temps était la brevis. La longa perfecta valait donc trois brèves ; la longa imperfecta n'en valait que deux. Les difficultés surgissaient du fait que la figuration des notes ne leur accordait point une valeur absolue ; cette valeur était fonction des rapports des notes entre elles, ou, plus précisément, de leur position réciproque : ainsi une longa devant une autre longa ou devant trois brèves était considérée comme perfecta ; mais si elle était précédée ou suivie d'une brevis, celle-ci lui ôtait un tiers de sa valeur et elle devenait imperfecta. Dans le cas de deux brèves séparant deux longues, l'une des deux brèves, la première, se voyait attribuer la moitié de la valeur de la seconde ; l'une était dite brevis recta et l'autre brevis altera.
On voit la complexité du système et les difficultés d'interprétation auxquelles il pouvait donner lieu. Aussi pendant longtemps, les compositeurs devaient-ils faire choix au début d'un morceau d'un mode rythmique, imposant a priori le schéma longue-brève ou le schéma brève-longue, et rester fidèles à ce mode jusqu'à la fin du morceau. Au cours du xiiie siècle, on vit apparaître des pièces en mode mixte où les deux schémas se trouvaient utilisés alternativement. L'invention du punctus divisionis permit de clarifier cette situation et de la rationaliser. Puis, l'emploi des notes rouges (on en trouve dans les pièces du Roman de Fauvel) permit d'introduire avec plus de précision les divisions binaires (la notation noire restant réservée aux rythmes ternaires). En même temps que naissait la notation bicolore apparaissait une nouvelle valeur, la minima, notée, comme la brevis, par un point losangé, mais pourvu d'une hampe :
. Plus tard encore, on utilisera la semi-minima : . Ainsi, les valeurs se font de plus en plus brèves, et l'on dira au xive siècle : « Gaudent brevitate moderni. »Toutes ces innovations furent consignées et codifiées par Philippe de Vitry, salué par le poète Pétrarque comme un chercheur[...]
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Écrit par
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