ABSTRAIT ART
L'art abstrait et la modernité
L'avant-gardisme triomphant considérait chaque rupture comme un pas en avant irrévocable, aussitôt transformé en conquête définitive. Dans le droit-fil de cet état d'esprit, les militants de l'abstraction croient la création figurative périmée à jamais : après Kandinsky ou Mondrian, nul ne saurait être de son temps s'il recourt à la représentation. Tout retour à la figuration d'un artiste abstrait devient alors une trahison. Cette manière de penser semble aujourd'hui révolue. Depuis le retour à la figuration de Jean Hélion, dans les années 1930, de nombreux artistes ont imposé l'idée d'une totale liberté face au clivage entre art abstrait et art figuratif. Willem de Kooning refuse de se laisser enfermer dans quelque carcan que ce soit : « Le style est une supercherie. J'ai toujours pensé que les Grecs se cachaient derrière leurs colonnes. » Il n'admet aucune restriction, et il peint sur fond de désespoir conjuré et de dérision assumée : « D'une certaine façon, tremper son pinceau dans la peinture pour peindre le nez de quelqu'un, c'est assez ridicule, d'un point de vue théorique aussi bien que philosophique. C'est vraiment absurde aujourd'hui de vouloir reproduire une image, comme l'image de l'homme, avec de la peinture, puisqu'on a le choix de le faire ou ne pas le faire. Mais, tout à coup, il m'est apparu que c'était encore plus absurde de ne pas le faire. Alors je crains de devoir obéir à mes désirs. »
Le changement d'attitude devant la conjugaison de l'abstraction et de la modernité se trouva grandement facilité quand l'art abstrait cessa d'être une conquête héroïque. Au fil du temps se constituait une rhétorique. L'art abstrait s'enseignait et se dégradait en académisme. Dans les années 1950, alors qu'il triomphait, les signes d'académisation étaient assez manifestes pour provoquer de nombreux débats sur ce thème, tant en Europe qu'aux États-Unis. Aujourd'hui, il n'est pas rare de voir des artistes créer une œuvre protéiforme, qui ignore les barrières entre abstraction et figuration. Gerhard Richter, le plus fameux d'entre eux, estime que l'on « peut tout peindre », et il ne s'en prive pas. L'abstraction n'a pas davantage périmé la figuration que le ready-made et ses conséquences n'ont rendu caduques la peinture et la sculpture. Néanmoins, l'émergence, en Occident, d'un art sans assise représentative fut un choc considérable. Les passions qu'il a déchaînées ont considérablement stimulé la réflexion esthétique. Au-delà des opinions et des préjugés, dûment informé des intentions des artistes et des analyses des commentateurs, chacun doit se livrer devant les peintures et les sculptures abstraites comme devant les autres, à ce que toute œuvre d'art appelle : l'exercice du jugement de goût.
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Écrit par
- Denys RIOUT : professeur d'histoire de l'art à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
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Médias
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