- 1. Style et accueil des œuvres d'art
- 2. Fonctions traditionnelles
- 3. Le poids de la société
- 4. Un cas exemplaire : la peinture des tombeaux égyptiens
- 5. Le prétendu réalisme de Giotto
- 6. L'horizon de l'œuvre de Dubuffet
- 7. L'objet de civilisation au Moyen Âge et à la Renaissance
- 8. L'objet de civilisation contemporain. Delaunay
- 9. L'art, dialectique du réel et de l'imaginaire
- 10. Bibliographie
ART (Aspects culturels) L'objet culturel
L'art, dialectique du réel et de l'imaginaire
La création picturale, cependant, n'est jamais un reflet. Il serait aussi contestable de la soumettre à la contrainte du déterminisme sociologique qu'il est faux d'y voir une copie plus ou moins fidèle de la réalité extérieure. S'il est vrai que la peinture ne saurait surgir en dehors d'un milieu, cela ne signifie pas, bien au contraire, qu'elle engendre nécessairement les moyens d'exprimer cette réalité ; il existe de longues périodes de « vacance » dans l'histoire de l'art ; il n'y a ni automatisme, ni conformité. L'œuvre d'un Watteau, dont Groethuysen explique que les personnages virevoltants sont l'équivalent plastique de l'esprit de finesse, brillant, paradoxal, contourné, qui succède, au xviiie siècle, à l'esprit de géométrie dont la rigueur caractérise le siècle précédent, ne renouvelle aucune des structures fondamentales. Elle continue à reproduire l'héritage du passé : l'idéalisation narrative, l'espace illusionniste, etc. ; rien n'y transparaît du développement scientifique qui ébranle alors les bases de la philosophie ou transforme la langue.
Le cas de Corot, aussi, est révélateur. Dans la version de 1827 du Pont d'Auguste sur la Nera, peinte « selon les règles », il ne se contente pas d'introduire des bergers et des bergères, un troupeau de moutons, quelques chèvres composant une scène bucolique, mais il nivelle les bords escarpés de la rivière, plante d'immenses arbres qui font écran. Il se conforme en cela au goût académisant d'une société qui veut une nature piquetée, arpentée, comme s'il s'agissait d'un parc et n'accepte d'autre intrusion de la vie populaire que les bandes de jeunes campagnards enrubannés venant danser et jouer du pipeau sous ses yeux. Il perpétue un style international qui vise à imposer non seulement ses thèmes, mais sa manière d'envisager le rapport des richesses, le but de la culture, l'ordre politique et social, comme si la Révolution française n'avait pas existé. Du double point de vue de la sociologie et de la peinture, l'œuvre est en porte-à-faux. Si bien que c'est l'étude qui précède le tableau d'un an et qui se trouve au musée du Louvre, avec ses taches vertes et jaunes, sa rudesse, son intensité perceptive, qui contient les recherches picturales nouvelles. Elle annonce une autre série, fondée sur le style d'esquisse ; c'est elle qui engage l'avenir ; c'est elle qui assume le présent.
L'art, par conséquent, est un système expressif et signifiant ; comme le langage, il forme une chaîne. L' impressionnisme lui-même, dont on a vu qu'il représentait la forme ultime prise par la peinture durant la période positiviste du développement de notre société, précisément est une forme. Sans elle, jamais Monet n'aurait été attiré par les frondaisons et les cours d'eau, et c'est elle encore qui le pousse à peindre les prairies, les bosquets, les parterres de fleurs qui sont tous les objets figuratifs particulièrement favorables à l'analyse chromatique de l'ombre et à la décomposition de la lumière. Il ne faut pas tenir pour un hasard le fait que les impressionnistes – à l'exception de Renoir qui pose un problème particulier – ont très vite renoncé à peindre des personnages en pied. Lorsqu'ils l'entreprennent, ils se trouvent forcés d'utiliser une autre technique, plus descriptive et plus traditionnelle, de telle sorte que c'est l'impressionnisme, en fin de compte, qui les oblige ou bien à tenir la figure humaine à distance et à la ramener à un ensemble de petites touches, ou bien à la supprimer délibérément, dans leurs toiles. Les événements historiques, pas plus que le monde extérieur, ne sont premiers ; tout se décide d'abord dans la peinture, au niveau[...]
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Écrit par
- Jean-Louis FERRIER : docteur ès lettres
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