ART (Aspects culturels) Le marché de l'art
Le marché de l'art ancien
Le marché de l'art ancien est celui de la rareté et du jugement de l'histoire. Chaque œuvre est singulière et irremplaçable : elle est bien, dans l'hypothèse idéale, le produit unique du travail indivis d'un créateur unique. L'offre potentielle est fixée et la raréfaction croissante. La rareté artistique comporte, évidemment, ses degrés d'excellence. Sur la hiérarchie de qualité des œuvres du passé (au moins à l'intérieur d'un style artistique donné), le consensus des spécialistes n'est pas irréalisable. Certes, les jugements prononcés par les historiens de l'art ne sont pas exempts de relativisme : ils sont tributaires de l'état de la science historique, comme de la vision que chaque époque a du passé. Il n'empêche qu'à un moment donné, du fait qu'ils se réfèrent aux mêmes critères de classement et qu'ils utilisent les mêmes catégories de jugement, les spécialistes – historiens de l'art et conservateurs de musée – ne sont pas incapables de s'entendre, sinon sur les résultats, du moins sur les critères d'un classement normatif des œuvres.
Au niveau le plus élevé du marché de l'art classé, le commerce est entre les mains de quelques négociants de rang international et des responsables des grandes ventes aux enchères. Les prix atteints ne rendent accessibles les chefs-d'œuvres des grands maîtres qu'à une minorité d'acheteurs internationaux dotés d'un fort pouvoir d'achat (le nombre des achats effectués par des particuliers ayant tendance à diminuer tandis qu'augmentent les achats des collectivités publiques, des musées ou des fondations). Qu'il s'agisse ou non d'une vente aux enchères, le vendeur d'un tableau est le vendeur unique d'un tableau unique. Au sens étymologique du terme, le vendeur est « monopoleur » et le prix de l'œuvre d'art est le résultat de la concurrence qui s'instaure entre un nombre limité d'acheteurs. Dans le marché de la peinture ancienne, où dominent les éléments monopolistiques, on atteint, dans le cas idéal – typique de la limitation absolue de l'offre –, des sortes de sommets économiques. La rareté du chef-d'œuvre unique du génie unique est la rareté la plus rare, et la plus chère, parmi les raretés socialement désignées comme artistiques. Elle est aussi la plus résistante aux aléas de la conjoncture. La notion de valeur refuge l'emporte, dans le marché de l'art ancien, sur celle de valeur spéculative – même si la tenue des prix, dans les zones marginales, n'est pas indépendante de la révision périodique de la hiérarchie des valeurs artistiques et des caprices du goût.
La révision systématique du patrimoine artistique est poursuivie conjointement par les savants (historiens de l'art et conservateurs de musée), les amateurs et les marchands – involontaire collaboration entre la recherche érudite, l'amour de l'art et le commerce. Parmi les grandes opérations en cours, une des plus marquantes concerne le xixe siècle. Entre les deux guerres et jusque dans les années cinquante, l'usage s'était progressivement instauré de ne retenir de l'histoire de l'art du xixe siècle que les grandes révolutions esthétiques et les génies indépendants. Après la Seconde Guerre mondiale, un autre xixe siècle pictural a été redécouvert : le procès en réhabilitation des peintres de Barbizon et de Jean-François Millet est d'ores et déjà gagné et celui du paysage du xixe siècle en bonne voie de l'être. Certes, le retour des oubliés provoque un effet de mode et les réhabilitations vont rarement sans équivoque. Mais, si l'on prospecte à rebours de mode les zones marginales de l'art ancien, les découvertes et les délectations peuvent être moins[...]
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Écrit par
- Raymonde MOULIN : directrice de recherche émérite au CNRS
- Alain QUEMIN : professeur de sociologie de l'art à l'université de Marne-la-Vallée, ancien élève de l'École normale supérieure de Cachan et de l'Institut d'études politiques de Paris, professeur agrégé de sciences sociales, membre de l'Institut universitaire de France
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