ART (Aspects culturels) Le marché de l'art
La promotion des avant-gardes internationales
Il est relativement aisé de définir le marché de l'art contemporain en l'opposant à celui de l'art ancien. L'offre est potentiellement indéfinie et l'estimation de la valeur esthétique dominée par l'incertitude. Le renouvellement continu des avant-gardes et la concurrence des idéologies artistiques, au cours des dernières décennies, interdisent tout consensus des professionnels du jugement esthétique qui sont ici les critiques d'art, les conservateurs de musée et les multiples agents intervenant dans les institutions culturelles.
Ces oppositions ne sauraient cependant faire perdre de vue que les stratégies de monopole mises en œuvre, depuis l'impressionnisme, dans le marché de l'art contemporain consistent à créer artificiellement des conditions se rapprochant de celles qui sont données d'emblée dans le marché de l'art ancien. La clef de voûte du système est le marchand entrepreneur, au sens que Joseph Schumpeter donne au terme, c'est-à-dire innovateur. Une variante du type entrepreneur s'est élaborée au cours des trente dernières années. L'entrepreneur « nouveau style » se distingue des pères fondateurs – P. Durand-Ruel, Ambroise Vollard ou D. H. Kahnweiler – par un usage différent du temps. C'est l'opposition entre deux conceptions du marché, l'une fondée sur l'éternité de l'art et l'autre fondée sur le « tourbillon innovateur perpétuel » (J. Schumpeter), l'opposition entre la stratégie du temps long et des succès différés et la stratégie du temps court et du renouvellement continu.
Pour de tels marchands, il s'agit moins de découvrir un artiste singulier que de promouvoir un mouvement. Les lancements, qui se succèdent à un rythme rapide – sinon celui des Biennales, du moins celui des Quadriennales (de Cassel en particulier) – sont effectués d'emblée au niveau international. Les artistes suivent, de musée en musée, aux États-Unis, en Europe et au Japon, un parcours culturel obligé, en même temps qu'ils sont représentés dans un réseau international de galeries. Alors que les marchands d'autrefois défendaient leurs artistes à contre-courant des institutions, les directeurs de galerie et les directeurs de musée contemporains participent de concert à la constitution de la valeur artistique – avec une complicité plus efficace et plus volontiers avouée à New York qu'à Paris. L'imposition du label artistique – préalable à la commercialisation des œuvres – est actuellement le produit d'un système complexe, aux acteurs multiples et de recrutement international. Sur le front avancé de l'art, les conservateurs et les critiques, les professeurs des écoles d'art, les collectionneurs, les détecteurs en tous genres de talents artistiques accompagnent ou précèdent le marchand. Présents en amont de la galerie, ces acteurs variés du monde de l'art se retrouvent en aval, agissant avec leurs moyens spécifiques dans des lieux diversifiés pour apporter à l'art en train de se faire le contexte et le commentaire qui le définissent comme tel. On conçoit le caractère hautement compétitif d'un système à double sélection, l'une intervenant à l'entrée dans le marché, l'autre résultant de la demande (privée ou publique) telle qu'elle s'exprime sur le marché.
On s'interroge souvent – même si un mouvement en sens inverse se dessine – sur l'influence de la politique culturelle américaine et du marché de New York dans l'élaboration du style international d'avant-garde. À la fin du xixe siècle et au début du xxe, l'histoire de l'art s'est écrite, pour l'essentiel, en France et les marchands innovateurs ont travaillé à Paris. Après la Seconde Guerre mondiale, l'école de New York est[...]
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Écrit par
- Raymonde MOULIN : directrice de recherche émérite au CNRS
- Alain QUEMIN : professeur de sociologie de l'art à l'université de Marne-la-Vallée, ancien élève de l'École normale supérieure de Cachan et de l'Institut d'études politiques de Paris, professeur agrégé de sciences sociales, membre de l'Institut universitaire de France
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