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ART (Aspects esthétiques) La contemplation esthétique

Catharsis et dialogue

À travers l'expérience ek-statique du détachement de l'âme du corps – expérience issue des rites dionysiaques – se sédimente, au fil de la tradition orphico-pythagoricienne, une certaine signification de la notion de catharsis, et c'est en fait comme purification morale et intellectuelle seulement possible au niveau du dialogue que la catharsis inaugure, chez Platon, le discours philosophique. Tel est aussi le sens que Platon donne au mot catharsis lorsque, dans le Sophiste (231 b), il fait de la catharsis un élément de l'art de trier, c'est-à-dire une manière de séparer le grain de l'ivraie dans le discours d'autrui, afin de susciter, par la maïeutique, l'émergence de la vérité que chacun porte en soi. Il n'est plus question ici de contemplation esthétique, mais l'activité cathartique du dialogue souligne de la façon exemplaire l'essence de la réflexion philosophique elle-même. Cette catharsis a aussi sa tradition et il n'est peut-être pas inutile de montrer que cette tradition, loin de suivre une carrière simplement parallèle à celle que nous avons étudiée plus haut, la recoupe en bien des points et aide à en saisir la signification.

C'est dans l'œuvre de Freud que cette double tradition interfère avec le maximum de clarté. Tout d'abord, on trouve chez Freud l'idée d'une catharsis d'ordre maïeutique seulement possible à travers le dialogue : ce qui deviendra le traitement analytique s'est d'abord appelé traitement cathartique ; en remettant in statu nascendi le processus psychique originel, « cause » de la névrose, et en le traduisant ensuite verbalement, le malade se trouve du même coup libéré et soulagé. Dans cette forme primitive de la psychanalyse, il s'agit donc – selon les propres termes d'Anna O – de talking cure ou de chimney sweeping ; Breuer parlera de « narration dépuratoire » et Freud de « catharsis » et d'«  abréaction ». Freud et Breuer précisent que la réaction du sujet n'a d'effet vraiment cathartique que lorsqu'elle est adéquate, comme c'est le cas de la vengeance ; toutefois, l'être humain trouve dans le langage un équivalent de l'acte, et c'est grâce à cet équivalent que l'affect peut être « abréagi ». Le langage apparaît ici comme le substitut de l'impossible libération émotive directe. Or, lorsque Freud sera entraîné à rechercher le noyau originaire de la névrose, c'est du côté du mythe que sa quête va irrésistiblement le porter, et c'est dans la tragédie grecque qu'il va puiser le paradigme de son élaboration thématique : la destinée d'Œdipe nous émeut « parce qu'elle aurait pu être la nôtre, parce qu'à notre naissance, l'oracle a prononcé contre nous la même malédiction [...]. Comme Œdipe nous vivons inconscients des désirs qui blessent la morale et auxquels la nature nous contraint ». Ainsi s'établit le lien entre catharsis et contemplation esthétique : le spectacle tragique nous émeut parce que le réel de la destinée d'Œdipe livre en filigrane le possible de notre destinée. Le mythe, selon la formule bien connue, constitue le débris déformé des rêveries de l'humanité tout entière. De même, la tragédie renvoie au tragique considéré comme expérience originaire, originale et exemplaire, et c'est ce tragique qu'il importe de déchiffrer en tant qu'il est porteur du sens de la tragédie. C'est à ce point précis que Freud retrouve la problématique aristotélicienne : si les fantasmes ne peuvent que faire éprouver de la honte au rêveur éveillé, d'où vient cependant que nous éprouvions un grand plaisir en assistant au spectacle tragique ? C'est d'abord pour Freud un problème d'ars poetica et il s'en[...]

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Écrit par

  • : professeur de philosophie à l'université de Rennes

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