ART (Aspects esthétiques) La contemplation esthétique
Ascèse ou excès
Les analyses freudiennes mettent en évidence, de façon éclatante, le lien étroit qui unit le statut de la notion de catharsis et le statut de l'existence sociale ; non seulement la vie sociale exige de l'individu une continuelle maîtrise de lui-même, mais encore c'est à cette situation de fait que l'individu réagit sur le mode fantasmatique. Et, par un bien compréhensible paradoxe, ces fantasmes possèdent eux-mêmes des vertus cathartiques de compensation d'une réalité trop durement éprouvée comme insatisfaisante. À ce niveau encore, nous pouvons saisir l'ambiguïté fondamentale de la catharsis, qui tantôt signifie renoncement et tantôt affirmation insolente, ambiguïté que reflète la traduction même du mot catharsis, tantôt par purification tantôt par purgation. À l'origine de la catharsis-purification, il y aurait toujours la crainte de la mort (mort du groupe, mort du proche, mort du moi) ; la catharsis est alors renonciatrice, elle est mort du désir, affirmation du moi sur le mode apollinien. La catharsis-purgation serait, quant à elle, une façon de communiquer dans l'exaltation comme l'enseignent les rites bachiques de la Grèce archaïque : elle est libératrice du désir, affirmation des puissances de la vie et de l'ego sur le mode dionysiaque ; ici, selon l'expression de Blake, « le chemin de l'excès conduit au palais de la sagesse ». La loi de l'excès, sous forme de libération directe, assume une tâche culturelle exigée par le groupe : la fête doit ainsi suivre la longue économie des forces. Sous forme de libération indirecte, elle assume encore une tâche culturelle ; le retour du refoulé à travers les rêves, les fantasmes, la création artistique et la contemplation esthétique doit préserver l'intégrité du moi et du groupe. La fonction cathartique est donc circulaire : dans son mouvement s'inscrivent le renoncement, la maîtrise de soi comme conditions mêmes de la libération de ce à quoi l'on a renoncé. Et c'est peut-être dans l'amorce de ce second mouvement que la catharsis, qui a su retrouver le chemin d'une certaine réalité, se met au service d'une certaine illusion dans le leurre de la complicité tacite de l'amour et de la mort : dans le Phédon, c'est la mort qui est considérée comme parfaite catharsis ; dans le Banquet, l'amour est déjà mort de la partie périssable de soi-même. La tragédie nous enseigne que la mort est la seule vérité de la vie, c'est là l'objet suprême de la crainte ; les dieux s'ingénient à troubler les amours des mortels, voilà l'objet de la pitié ; « la fin vers laquelle tend toute vie est la mort », nous dit Freud chez qui toujours Eros est lié à la Mort : la perte de l'objet ne peut être compensée que par Eros, par le triomphe de l'espèce qui a pour condition la mort de l'individu. Sans doute est-ce pour avoir saisi cette union intime de l'amour et de la mort dans toute catharsis que Nietzsche s'est élevé contre elle avec tant de véhémence. Mais il apparaît aussi que cette complicité s'illustre par cette suprême duperie dont Freud nous entretient dans le Thème des trois coffrets, où la mort prend pour nous séduire le visage le plus beau, le visage de l'amour.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Didier DELEULE : professeur de philosophie à l'université de Rennes
Classification
Autres références
-
ANTHROPOLOGIE DE L'ART
- Écrit par Brigitte DERLON et Monique JEUDY-BALLINI
- 3 610 mots
- 1 média
L’anthropologie de l’art désigne le domaine, au sein de l’anthropologie sociale et culturelle, qui se consacre principalement à l’étude des expressions plastiques et picturales. L’architecture, la danse, la musique, la littérature, le théâtre et le cinéma n’y sont abordés que marginalement,...
-
ART (notions de base)
- Écrit par Philippe GRANAROLO
- 3 282 mots
-
FINS DE L'ART (esthétique)
- Écrit par Danièle COHN
- 2 835 mots
L'idée des fins de l'art a depuis plus d'un siècle et demi laissé la place à celle d'une fin de l'art. Or, à regarder l'art contemporain, il apparaît que la fin de l'art est aujourd'hui un motif exsangue, et la question de ses fins une urgence. Pourquoi, comment en est-on arrivé là ?
-
ŒUVRE D'ART
- Écrit par Mikel DUFRENNE
- 7 938 mots
La réflexion du philosophe est sans cesse sollicitée par la notion d'œuvre. Nous vivons dans un monde peuplé des produits de l'homo faber. Mais la théologie s'interroge : ce monde et l'homme ne sont-ils pas eux-mêmes les produits d'une démiurgie transcendante ? Et l'homme anxieux d'un...
-
STRUCTURE & ART
- Écrit par Hubert DAMISCH
- 2 874 mots
La métaphore architecturale occupe une place relativement insoupçonnée dans l'archéologie de la pensée structurale qu'elle aura fournie de modèles le plus souvent mécanistes, fondés sur la distinction, héritée de Viollet-le-Duc, entre la structure et la forme. La notion d'ordre, telle que l'impose la...
-
TECHNIQUE ET ART
- Écrit par Marc LE BOT
- 5 572 mots
- 1 média
La distinction entre art et technique n'est pas une donnée de nature. C'est un fait social : fait qui a valeur institutionnelle et dont l'événement dans l'histoire des idées est d'ailleurs relativement récent. C'est dire qu'on ne saurait non plus considérer cette distinction comme un pur fait de connaissance...
-
1848 ET L'ART (expositions)
- Écrit par Jean-François POIRIER
- 1 189 mots
Deux expositions qui se sont déroulées respectivement à Paris du 24 février au 31 mai 1998 au musée d'Orsay, 1848, La République et l'art vivant, et du 4 février au 30 mars 1998 à l'Assemblée nationale, Les Révolutions de 1848, l'Europe des images ont proposé une...
-
ACADÉMISME
- Écrit par Gerald M. ACKERMAN
- 3 543 mots
- 2 médias
Le terme « académisme » se rapporte aux attitudes et principes enseignés dans des écoles d'art dûment organisées, habituellement appelées académies de peinture, ainsi qu'aux œuvres d'art et jugements critiques, produits conformément à ces principes par des académiciens, c'est-à-dire...
-
ALCHIMIE
- Écrit par René ALLEAU et Encyclopædia Universalis
- 13 642 mots
- 2 médias
...phénomènes perçus par nos sens et par leurs instruments. Cette hypothèse peut sembler aventureuse. Pourtant, le simple bon sens suffit à la justifier. Tout art, en effet, s'il est génial, nous montre que le « beau est la splendeur du vrai » et que les structures « imaginales » existent éminemment puisqu'elles... -
ARCHAÏQUE MENTALITÉ
- Écrit par Jean CAZENEUVE
- 7 048 mots
...le succès correspond peut-être à un besoin accru encore par les progrès de la pensée positive et pour ainsi dire en réaction contre elle. D'autre part, on peut trouver dans la vie artistique, sous toutes ses formes, la recherche d'une harmonie entre le subjectif et l'objectif, en même temps qu'un retour... - Afficher les 41 références