ART BRUT JAPONAIS II (exposition)
En présentant Art brut japonais II (8 septembre 2018 - 10 mars 2019), la Halle Saint-Pierre reste fidèle à sa prédilection pour les arts singuliers. Pluriel par son inspiration, les techniques et les supports matériels utilisés, l’art brut, initialement opposé aux beaux-arts depuis l’invention du concept par Jean Dubuffet en 1945, rencontre un accueil grandissant. Ses créateurs – souvent autodidactes, de milieu modeste, atteints de troubles perturbant leur adaptation sociale – témoignent dans leurs œuvres d’une force esthétique déconcertante. Leur ingénuité opère « une fascinante décantation du réel » (André Breton, « Autodidactes dits “naïfs” », 1942). En proposant pour la deuxième fois des œuvres venues du Japon, la Halle Saint-Pierre renouvelle ce que Martine Lusardy, commissaire de l’exposition, caractérisait déjà comme un « questionnement sur les rapports de l’art à ses sources, à ses frontières et à ses créateurs » (catalogue Art brut japonais, 2010). Peu de femmes sont présentes ; il s’agit essentiellement d’hommes d’âges variés, pour une grande part placés en institution, soit une cinquantaine de créateurs qui introduisent à une singularité propre à la culture japonaise. L’étrangeté radicale de certains motifs va de pair avec le recours à un univers fantasmagorique aux antipodes de notre culture classique. Ce monde inquiétant issu de la culture traditionnelle du Japon s’est propagé à partir des années 1960 dans la société nipponne par les mangas et les jeux vidéo avant de susciter un peu plus tard l’intérêt des jeunes Occidentaux.
Monstres et merveilles
Les œuvres en argile émaillée sont nombreuses et habitées par les monstres du folklore japonais, ces yōkai capables d’actions et de transformations effrayantes, ou les représentations grimaçantes des gardiens géants des monastères bouddhiques : ainsi les créatures étonnantes que sont les démons de Kontani Akio, les visages monstrueux de Sakai Kiyoshi, les yōkai de Matsumoto Naoya dont un superbe Shachihoko, tête de dragon et corps de carpe aux écailles hérissées. Déjà présent à la première exposition de la Halle Saint-Pierre, Sawada Shinichi, outre sa maîtrise de l’argile, réalise de petits véhicules (4 × 6 × 12 cm) en papiers collés, d’une minutie vertigineuse. Cette précision dans le détail qu’apprécient tant les Japonais s’applique aussi au mobilier électroménager de papier (15 × 11 × 7 cm) de Sakai Tomoaki. Autre créatrice déjà reconnue, Suzuki Marie réalise des œuvres sidérantes par le chatoiement de couleurs vives sur papier. L’intensité émotionnelle de ses évocations graphiques hautement sexualisées et torturantes s’appuie sur une technique au stylo-feutre qui emprunte au pointillisme et couvre de grands paravents (168 × 346 × 1,5 cm).
Si certaines sculptures sont géantes, comme les collages de journaux et magazines (7,82 × 5,33 m) de Yoshida Ichiro ou, plus proches de la taille des visiteurs, à l’image déroutante des humanoïdes en polystyrène recouvert de papier (1,60 × 0,60 × 0,50 m) d'Atsumi Keisuke, d’autres encore sont des miniatures, des robots finement articulés, inspirés des dessins animés qui obsèdent Yamane Akira depuis son enfance. Watanabe Yoshihiro réalise des pliages à partir de feuilles de chêne à un moment précis du séchage, donnant naissance à un monde animal en réduction (entre 2 et 6 cm), inédit et fascinant tandis que le bestiaire coloré d'Ayama Takayuki, sur bois gravé et peint, vibre d’une vitalité sauvage. Textiles et broderies donnent aux créateurs l’occasion de jouer des effets multicolores de multiples emmêlements chez Morita Satoshi ou chez une artiste telle que Seko Misuzu, tous deux en institution.
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Écrit par
- Nelly FEUERHAHN : chercheuse honoraire au CNRS
Classification
Média