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CONCRET ART

Max Bill et le foyer suisse

La mort soudaine de Van Doesburg, en 1931 à Davos, interrompt brutalement l'évolution dans laquelle il s'était engagé. Tandis que ses anciens compagnons de route s'éloignent des principes de l'art concret, l'artiste allemand Josef Albers (1888-1976), professeur au Bauhaus, réalise entre 1932 et 1935 une série de quatre-vingts gouaches à partir du motif de la clef de sol dont il remplit les boucles d'une gamme de noirs, de blancs, de gris et de couleurs pures en suivant de strictes règles de permutation.

Son exemple et celui de Van Doesburg se conjuguent chez un jeune artiste suisse, Max Bill (1908-1994), ancien élève du Bauhaus, qui donne en 1936 ses propres Variations sur un même thème, constituées d'une succession de segments de droites de longueur égale décrivant des polygones emboîtés, du triangle à l'octogone. La préface de ce portfolio de quinze lithographies, édité à Paris, déclare vouloir donner à l'observateur « la possibilité de contrôler les opérations et de lui faire entrevoir les méthodes qui donnent naissance à l'œuvre d'art ». Établi à Zurich, Bill peint ensuite certaines des œuvres qui donnent un second souffle à l'art concret, comme Carré blanc (1946), où le positionnement d'un carré peint en blanc dans une trame régulière de carrés sombres met en évidence la suite numérique 1, 3, 5, 7. D'autres œuvres, qui adoptent souvent la structure neutre et régulière du damier, s'efforcent d'appliquer à la distribution de la couleur les mêmes principes rationnels (Champ de quatre groupes clairs, 1963). Par ailleurs, dans un texte publié en 1949, La Pensée mathématique dans l'art de notre temps, il réaffirme les postulats intellectuels qui avaient motivé la première fondation de l'art concret.

Ces principes sont également ceux d'un autre artiste zurichois, Richard Paul Lohse (1902-1988), qui commence à fonder son art sur des systèmes à partir de 1942. En quelques années, il établit un vaste répertoire de formules découlant de ses recherches sur la standardisation des éléments picturaux, notamment la couleur, devenue quantité mesurable, et sur l'organisation structurelle de la surface en fonction de modules et de séries. Dans 15 rangées systématiques de couleurs avec condensation verticale et horizontale (1953-1983), toutes les couleurs du spectre, présentes en quantité égale, se logent en fonction d'un système de permutation soigneusement réglé dans une grille au module régulièrement décroissant vers les axes médians du carré de la toile. Avec Lohse, l'œuvre est bien l'actualisation d'un énoncé clair et précis, qui la précède parfois de plusieurs années : « La méthode se représente elle-même, elle est le tableau », affirme-t-il. Autrement dit : l'œuvre se fait théorème, la forme donne la formule de l'œuvre.

Le foyer suisse de l'art concret manifeste sa force et son importance à travers l'apport de peintres aussi divers que Verena Loewensberg (1912-1986), dont les tableaux se fondent sur les mathématiques les plus subtiles, ou Camille Graeser (1892-1980), dont les compositions rythmiques cherchent souvent l'analogie musicale (KolorSinfonik, musée de Grenoble, 1947-1951). Une seconde génération fait bientôt son apparition dans les années 1950, où se distinguent Carlo Vivarelli (1919-1986), peintre et sculpteur comme Bill, mais aussi Marcel Wyss (1930-2012), auteur de reliefs dont les lignes en progression sont incisées dans le matériau, et Gottfried Honegger (1917-2016) qui construit ses surfaces à partir de modules de carton recouverts d'une couche de peinture monochrome, quand il ne laisse pas aux dés ou à l'ordinateur le soin de programmer les permutations de certaines de ses compositions. Karl Gerstner (1930-2017) est quant à lui un théoricien[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire de l'art à l'université de Grenoble-II-Pierre-Mendès-France

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Média

<it>Composition XII en noir et blanc</it>, T. Van Doesburg - crédits : AKG-images

Composition XII en noir et blanc, T. Van Doesburg

Autres références

  • ARP JEAN (1887-1966)

    • Écrit par
    • 1 968 mots
    ...artistique aux phénomènes productifs de la nature : « Nous voulons produire comme une plante produit un fruit. » Aussi a-t-il toujours préféré le terme art concret à celui d'art abstrait pour caractériser ses œuvres. « Je trouve qu'un tableau ou une sculpture qui n'ont pas eu d'objet pour modèle sont...
  • BILL MAX (1908-1994)

    • Écrit par et
    • 1 436 mots
    ...marque véritablement son début dans l'utilisation de principes systématiques. Il peut alors dégager une théorie de toutes ces expériences : il l'intitule « art concret » en prenant appui sur les idées exprimées à Paris en 1930 par Théo Van Doesburg et introduite par Max Bill en 1936 lors de l'exposition...
  • CLARK LYGIA (1920-1988)

    • Écrit par
    • 782 mots

    Lygia Clark appartient à cette catégorie d'artistes qui témoignent de la cohérence et de la continuité des avant-gardes, et en particulier de l'évolution, moins paradoxale qu'il n'y paraît, qu'on voit se dessiner entre le tableau et diverses pratiques plus immatérielles, qu'elles soient conceptuelles...

  • HÉLION JEAN (1904-1987)

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