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ART CONTEMPORAIN (anthropologie)

En anthropologie, la notion d’art contemporain prise dans une acception chronologique englobe les créations récentes dans le monde : qui est sa propre fin mais aussi les productions rituelles, populaires et artisanales. Cette conception fut mise en avant par l’exposition Magiciens de la terre (Paris, 1989). Dans une intention œcuménique, mais qui excluait de fait et l’artisanat européen et les avant-gardes extra-européennes, elle associait des réalisations de Daniel Buren, Christian Boltanski ou Louise Bourgeois et les cercueils figuratifs du Ghanéen Kane Kwei, les dessins sur sable du Navajo Joe Ben Jr, ou encore les peintures sur écorce de l’Aborigène John Mawurndjul.

Dans un sens plus restrictif, l’art contemporain désigne les œuvres que le monde de l’art (musées, galeries, critiques) reconnaît en rupture avec l’art moderne ou d’inspiration avant-gardiste, quelle que soit la nationalité de leurs auteurs.

Dans le dernier tiers du xxe siècle, les ethnologues se penchèrent d’abord sur l’art contemporain non occidental qui retint leur attention comme moyen d’accès à la compréhension des transformations au sein des environnements socio-culturels observés. Ils y virent un reflet des processus de modernisation et d’urbanisation liés à la globalisation, un vecteur des aspirations politiques et des revendications territoriales, ou encore une expression des relations interculturelles et des rapports critiques à l’histoire coloniale. Par ailleurs, la question de sa reconnaissance par le monde de l’art et de son accession à la scène internationale fit aussi l’objet de leur réflexion.

La fin du clivage entre des œuvres non occidentales, objets d’étude des ethnologues, et des œuvres occidentales, jusque-là surtout traitées par les historiens et critiques d’art, doit beaucoup à ce qu’on a appelé le « tournant ethnographique » dans l’art contemporain (Foster, 1995 ; Coles, 2000). Ce tournant s’amorce dans les années 1970-1980 avec le développement de l’art in situ, créé pour un lieu (musée, espace urbain, rural...) et un public particuliers, puis avec l’essor de l’art participatif ou interactif au cours de la décennie suivante. Les créations acquièrent alors cette épaisseur contextuelle, sociale et politique qui constitue la matière même de l’ethnographie. Des artistes s’inspirent des méthodes de l’enquête de terrain pour mener des recherches documentaires sur leur propre vie (Sophie Calle) ou celle des autres (Lothar Baumgarten sur les Indiens Yanomami). Immersion dans une communauté, observation participante, recueil de données ou encore collecte d’éléments matériels sont autant de procédés auxquels ils recourent (Schneider et Wright, 2006, 2010, 2013).

Influencés par le postmodernisme, le postcolonialisme et l’anthropologie critique qui dénoncent notamment les fondements de l’autorité scientifique de la discipline (Clifford et Marcus, 1986 ; Clifford, 1996), les artistes traitent de thèmes familiers aux ethnologues : les rapports entre dominants et dominés, les enjeux politiques des représentations de l’altérité, les idéologies sous-jacentes aux systèmes de classification, les pratiques du don et la mise en scène des interactions sociales (Sansi, 2014). Dans certains cas, leurs œuvres, qui font possiblement référence aux écrits des anthropologues, s’entendent comme une restitution de l’expérience de la rencontre ou de la coopération avec l’autre.

De leur côté, les ethnologues s’ouvrent davantage aux questions relatives aux sens et aux émotions, qui constituent désormais des champs de recherche à part entière. Désireux de rompre avec une écriture ethnographique tenant trop d’un discours magistral, certains inventent d’autres modes de narration parfois proches du collage surréaliste (Clifford, 1996), mobilisent des pratiques multimédias, ou préconisent de fabriquer de l’art[...]

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Écrit par

  • : directrice d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
  • : directrice de recherche au CNRS, chercheuse en anthropologie sociale

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