ART CONTEMPORAIN
La mondialisation de l'art
Si l'on se tourne maintenant du côté de ce qui est rassemblé sous la catégorie d'art contemporain, on voit effectivement les conséquences considérables de la dé-différenciation engendrée par l'abandon des critères « modernes » de la nouveauté.
Dans une exposition dite d'art contemporain, on trouve aujourd'hui aussi bien des peintures reprenant des manières d'opérer anciennes, figuratives ou abstraites, que des travaux d'art conceptuel, des ready-mades postduchampiens, des performances, des simulations (ironiques ou non) de travaux antérieurs, des installations cinétiques plus ou moins renouvelées par les technologies informatiques, des photographies et des vidéos, etc. L'art contemporain se montre en ce sens foncièrement tolérant et œcuménique : il accepte la coexistence d'objets et de démarches hétérogènes. En paraphrasant ce que disait le philosophe postmoderne des sciences Paul Feyerabend, on peut avancer qu'on se trouve en présence d'un anarchisme esthétique reconnaissant que tout peut aller (« anythinggoes »). Essayons de voir ce que recouvre cette profusion.
Avant de s'attacher à la nature des œuvres, il faut voir dans quelles conditions elles apparaissent.
La mondialisation de la scène de l'art est la première chose à retenir. Même s'il reste des capitales financières de l'art contemporain (New York, Paris, Bâle), celui-ci est présent sur tous les continents, y compris l'Afrique qui fut seulement pendant longtemps le continent des arts primitifs. Les innombrables biennales qui se sont maintenues et développées (Venise, São Paulo) ou qui s'ajoutent régulièrement à la liste (Shanghai, Istanbul, Kwangju, Pusan, Taipeh, Lyon...), les foires d'art contemporain qui se tiennent un peu partout sont les lieux d'existence de l'art contemporain au sens non seulement d'exposition au public mais, plus profondément, de production. Cet art est réalisé pour ces lieux multiples et ces occasions spectaculaires. Ce qui en fait un art en grande partie volatile et mobile, coupé d'un contexte local – sinon celui bien particulier de ceux qui, selon l'expression de James Clifford, « habitent le déplacement ».
Une seconde chose à retenir est la tendance de cet art contemporain à se diffuser au-delà des lieux de l'art dans des manifestations et des domaines d'activité qui n'étaient pas traditionnellement définis comme artistiques. Non seulement l'art contemporain récupère à titre de matériaux les éléments, objets, images, thèmes de la vie quotidienne, en s'appropriant jusqu'au fait-divers et au document, mais il se rapproche de la mode, du design, de la publicité, du monde des affaires et de la communication. James Turrell illumine des bâtiments ou aménage des vitrines de luxe, Bill Viola réalise des vidéos qui accompagnent la mise en scène que donne Peter Sellars de Tristan et Isolde en 2004, Nan Goldin passe du reportage sur le milieu des travestis et des drogués à la publicité revalorisant les chemins de fer de banlieue. Il existe ainsi des relations poreuses entre des domaines autrefois séparés, – que ce soit l'art et la publicité, l'art et la documentation, l'art et la science, l'art et la musique techno : les activités passent les unes dans les autres avec une sorte de fluidité qui affecte aussi bien la pratique artistique que l'expérience esthétique.
Cela s'accorde bien avec la diversité de la production artistique – et en retour l'encourage. Peuvent « faire art » des photos, des vidéos, des installations lumineuses ou sonores, des messages publicitaires, des pratiques relationnelles (donner un repas, saluer), des manipulations génétiques (art biotechnologique), des performances corporelles, des documents journalistiques, des analyses sociologiques. Les[...]
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Écrit par
- Yves MICHAUD : professeur de philosophie à l'université de Rouen, membre de l'Institut universitaire de France
- Raymonde MOULIN : directrice de recherche émérite au CNRS
Classification
Médias
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