ART CONTEMPORAIN
L'art en quête de sens ?
Si on prend maintenant du recul pour analyser cette situation, deux dernières questions se posent. L'une porte sur le contenu de cet art contemporain ; l'autre sur son avenir.
L'abandon de la logique du développement formel, même si celle-ci était en réalité surtout une fiction pieuse, ou bien qui transformait le modernisme en académisme, replace l'art contemporain face au contenu et à la signification. En dépit de leur diversité, les moyens d'expression des artistes sont aujourd'hui très fortement marqués par la prééminence de la technologie. Mais cela ne change rien au fait que le médium, désormais, compte moins que le message. Plus rien en fait ne nous étonne en matière de médium : des industries comme celles du cinéma, des jeux vidéo, du logiciel informatique ou de la recherche militaire sont bien en avance sur ce qui se fait en art pour des raisons financières aisément compréhensibles. Malgré l'ampleur des budgets investis, l'artiste multimédia Matthew Barney, pour ses films, ou le performer Stelarc, pour ses prothèses computérisées, ne peuvent rivaliser avec les productions de l'industrie militaire de la vision assistée ou de la biorobotique. Quand le médium devient si banal et si transparent, c'est le contenu, la signification qui passent au premier plan – ce qu'on appelait autrefois le sens. À cet égard, il est facile de repérer un ensemble de thèmes qui hantent l'art contemporain et que reprennent peu ou prou tous les artistes : le corps, l'exhibition de l'intimité, la transformation technique du corps, la beauté de l'artifice, la communication – et la non-communication, voire l'incommunication –, l'exploitation et la misère humaine, le mélange des images, la surveillance et la normalisation, les circulations et le désordre urbain, la pollution, les déchets et leur recyclage, etc. N'importe quelle biennale expose de manière obsédante ces thèmes.
On pourrait se féliciter d'un tel retour du sens, souvent d'ailleurs émouvant, dans l'art. Le problème est toutefois que l'art contemporain exhibe la plupart du temps ce sens sans distance critique. Ou bien, celle-ci ne diffère pas de celle qui caractérise l'ensemble de nos autres systèmes de représentation du monde. Nous vivons aujourd'hui dans des sociétés réflexives, c'est-à-dire qui ne cessent de générer des réflexions d'elles-mêmes, terme à entendre au sens propre comme au sens figuré – et cela à travers statistiques, vidéos de surveillance, reportages, rapports, expertises, diagnostics, sondages, etc. Maintenant qu'il ne possède plus le monopole des images, et pas davantage celui de la connaissance, l'art n'a pas de position assurée ni privilégiée au milieu de ces réflexions. Il reflète donc la société, au même titre que tout ce qui la reflète. Ce qui permet de comprendre au passage qu'il n'ait plus vraiment de force critique – celle-ci se trouvant désormais dispersée par la réflexion sociale à travers toute la société, et se voyant du même coup largement banalisée et neutralisée. On en fait le reproche à l'art. On l'accuse d'être dépolitisé et de connaître une crise de la représentation. Effectivement, il reflète plus qu'il ne réfléchit. De plus, il se trouve absorbé dans le flux immense et continu des réflexions d'une société elle-même réflexive. En lui, nous trouvons un miroir parmi d'autres. Cela peut procurer du plaisir, donner à réfléchir ou juste occuper l'esprit. En cela, en tout cas, l'art contemporain ne remplit plus la fonction de l'art moderne qui revendiquait encore une position réflexive-critique sur la société et, à défaut, sur l'art lui-même. Pas un artiste de l'art contemporain ne condamne ce que fait un autre : tout au plus le jugera-t-il moins connu que lui en refusant de figurer dans la même exposition.[...]
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Écrit par
- Yves MICHAUD : professeur de philosophie à l'université de Rouen, membre de l'Institut universitaire de France
- Raymonde MOULIN : directrice de recherche émérite au CNRS
Classification
Médias
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