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DÉGÉNÉRÉ ART

L'expression « art dégénéré » doit sa fortune à l'expositionEntartete Kunst que les nazis organisèrent en 1937 à Munich. La dégénérescence n'est pas la décadence. Cette dernière notion implique dans une visée spenglerienne un affaiblissement des cultures, analogue au vieillissement auquel sont voués les corps, mais non une dénaturation. La dégénérescence, l'Entartung, terme emprunté à la biologie, suppose qu'un objet a perdu certains de ses traits distinctifs au point qu'il cesse d'appartenir à son genre, à son espèce d'origine. Ainsi, selon l'idéologie nazie, du Juif qui n'appartient plus à l'espèce humaine. Ainsi de l'œuvre qui, faute de satisfaire à des critères de savoir-faire, de favoriser la cohésion de la communauté allemande et de répondre à une conception dogmatique de la mimêsis, échappe à la sphère de l'art. On connaît le sort que le régime hitlérien réserva aux livres et aux hommes « impurs ». Le sort des œuvres d'art est plus mal connu ; on n'a pu établir avec certitude qu'un bûcher ait été allumé en 1939 pour détruire des œuvres d'art. Mais il est notoire que, sans croire à la valeur intrinsèque de ces œuvres, les nazis surent mettre à profit leur valeur marchande. Pour eux, parler d'art à propos de l'art moderne relevait d'une filiation usurpée, et d'ailleurs le mot Kunst, grossièrement crayonné sur l'affiche de l'exposition, était placé entre guillemets.

Les fondements idéologiques de cette conception sont à chercher dans les théories raciales de Houston Steward Chamberlain, de Joseph Arthur de Gobineau et d'Alfred Rosenberg qui affirmaient la supériorité de la race germanique. Dans des livres aux titres éloquents, Rembrandt als Erzieher (Rembrandt comme éducateur) et Dürer als Führer (Dürer comme guide), publiés en 1908 et 1928, Julius Langbehn donnait une inflexion raciale au « point de vue historique et national » introduit en histoire de l'art par Heinrich Wölfflin.

Art officiel - crédits : Keystone/ Getty Images

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Sans l'avoir cherché, l'exposition Entartete Kunst représentait elle aussi une nouveauté. D'autres œuvres d'art moderne avaient déjà été confisquées et montrées au public dans des « cabinets des horreurs » comme en témoigne l'exposition organisée en 1936 à Munich et dont l'affiche rendait un hommage sans doute involontaire à l'efficacité des mises en page constructivistes. En revanche, nulle autre exposition d'art moderne n'avait jamais connu un tel succès. Inaugurée le 19 juillet 1937 par Adolf Ziegler, président de la Reichskammer der Bildenden Künste, l'exposition accueillit plus de deux millions de visiteurs avant sa fermeture le 30 novembre de la même année et un million supplémentaire lorsqu'elle tourna dans plusieurs villes d'Allemagne et d'Autriche. À Munich même, une exposition d'art officiel, la Grosse Deutsche Kunstaustellung, inaugurée le 18 juillet 1937 par Hitler, connut par une certaine ironie du sort une affluence cinq fois moindre que sa rivale. Malgré le désordre de l'accrochage de l'« art dégénéré », le choix des œuvres témoignait d'un jugement très sûr. Il ne faut pas s'en étonner puisque la sélection de 650 œuvres parmi le très riche fonds des musées allemands avait été établie grâce au remarquable ouvrage de Carl Einstein, Die Kunst des 20. Jahrhunderts. Tous les courants de l'avant-garde étaient représentés depuis Die Brücke, Der Blaue Reiter, l'expressionnisme jusqu'à Dada, le Bauhaus et même la Nouvelle Objectivité. Les deux principaux critères de cette entreprise d'exclusion avaient été esthétiques, l'inachèvement d'une œuvre comme symptôme de puérilité, et politique, la dérision des valeurs qui soudent le peuple. On mettait complaisamment en[...]

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