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HOHENSTAUFEN ART DES

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Arts somptuaires

Les deux grandes expositions de Cologne-Bruxelles (Rhin-Meuse, 1972) et de Stuttgart (1976) ont surpris par le nombre et la qualité des objets d' art somptuaire présentés. Certes, la peinture manuscrite n'est plus prépondérante comme à l'époque carolingienne, mais dans les monastères souabes, saxons ou westphaliens on continue à peindre et surtout à dessiner : le scriptorium de Weingarten près du lac de Constance fut particulièrement actif. Dans l' enluminure apparaît déjà cette humanité élégante et sensible qui dominera de son classicisme enjoué l'iconographie gothique. Une nouvelle figure de la Vierge s'y élabore, dame fine et gracieuse, en totale contradiction avec l'image de majesté du siècle précédent et qui, dans les nuances mêmes (couleurs secondaires comme le vert émeraude, le violet ou le jaune orangé), prélude à celles des xive et xve siècles : au musée Wallraf de Cologne, une évolution sans faille conduit des dernières madones staufiennes aux premières Vierges de l'école de Stephan Lochner.

Plus encore que l'art de l'enluminure, c'est celui de la sculpture non monumentale qui séduit. La sculpture sur ivoire perpétue la grande tradition carolingienne et ottonienne par des créations d'un modelé cependant plus doux, plus fluide, comme le montrent certaines plaques de Crucifixion du musée Schnütgen à Cologne. Diptyques, coffrets, pyxides sont sculptés en grand nombre dans les matériaux les plus divers et on imite même des architectures réelles, comme ces maquettes d'église constituées en reliquaire (reliquaire de Sayn, près de Coblence, 1180-1200 ; ce reliquaire en ivoire représente une basilique à façades dotées de doubles tours).

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Mais l'objet préféré de cette période si habile en matière d' orfèvrerie est la châsse métallique. Les foyers les plus importants sont concentrés en Rhénanie et dans la vallée de la Meuse, avec pour centres Cologne et Liège. Les châsses les plus anciennes d'origine meusienne ont la forme assez simple d'une maison, le noyau étant en bois, recouvert de plaques d'or et d'argent. La châsse de saint Hadelin ayant appartenu à l'abbaye de Celles en est l'exemple type. Une autre châsse fameuse est celle de saint Héribert, encore en place dans l'église bâtie en son honneur aux portes de Cologne, sur la rive opposée du Rhin. Des apôtres tout en or entourent le reliquaire-domus que rehaussent de magnifiques émaux consacrés à la vie de ce prince d'Église. Les reliques des Rois mages, transférées vers l'an 1180 de Milan à Cologne, trouvèrent elles aussi abri dans une châsse gigantesque, exposée dans la cathédrale. Les émaux qui l'ornent rappellent ceux du prestigieux retable de Klosterneuburg, près de Vienne, attribués à Nicolas de Verdun. En 1205, le nom de cet artiste réapparaît en rapport avec une châsse conservée à Tournai. Les figures de Nicolas sont empreintes d'un certain classicisme. En effet, vers 1200 et peu après, la sculpture occidentale adhérera volontiers aux préceptes esthétiques de l'Antiquité, particulièrement sensibles dans le mouvement des draperies.

En 1165, Frédéric Ier Barberousse fit béatifier son grand prédécesseur Charlemagne, juste 400 ans après que celui-ci eut pour la première fois visité Aix-la-Chapelle. À la demande de l'empereur et de son épouse Béatrice de Bourgogne, l'orfèvre Wibert créa le grand lustre octogonal qui remplit aujourd'hui encore l'espace central de la chapelle palatine d'Aix.

L'inscription gravée à l'intérieur du lustre explique la mission de cette couronne de lumière : Jérusalem céleste, image de la Ville idéale, elle doit aussi concorder avec les mesures du Temple – la chapelle d'Aix. En effet, elle en constitue, au millimètre près, une réduction au quart. Ici encore nous touchons l'une des réalités premières de la période staufienne : le symbolisme carolingien est si vivant qu'il inspire un phénomène de renaissance. Rien d'étonnant donc qu'à la translation de la dépouille de Charlemagne, elle fût placée, en 1215, en présence de l'empereur Frédéric II, dans la fameuse châsse d'or qui orne aujourd'hui le chœur gothique tout en verre adjoint en 1414 à l'antique édifice carolingien.

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À l'exposition gothique du Louvre en 1968 figurait le buste de l'empereur Frédéric II de Hohenstaufen, provenant de la Ferme Fasoli entre Barletta et Canosa. Le port altier de la tête, le cou puissant, le torse drapé horizontalement par les plis tendus d'une toge qu'une fibule ramasse sur l'épaule droite, tout dans cette figure respire l'Imperator. En 1250, la puissance staufienne était à son apogée. Plus d'un demi-millénaire plus tard, elle séduira encore le vieux Goethe : dans le Faust II, il suscitera chez son héros l'envie de servir ce lointain empereur germanique qui préférait l'Italie ensoleillée à l'Allemagne des brumes et des querelles. C'est aux règnes des deux Frédéric, du premier et du second, qu'un xixe siècle nostalgique de l'Empire se reporte sans cesse : en poésie, en peinture, en historiographie. Le Haut-Kœnigsbourg en Alsace ne fut-il pas restauré en château fort staufien par Guillaume II ? Louis II de Bavière ne prétendit-il pas, par ses châteaux néo-romans, rivaliser avec Frédéric Barberousse ? C'est un besoin d'évasion, peut-être même d'expansion, que traduit cette reprise utopique d'une période où les controverses et les luttes furent en fin de compte aussi nombreuses que les victoires.

— Carol HEITZ

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Écrit par

  • : professeur d'histoire de l'art du Moyen Âge à l'université de Paris-X et au Centre d'études supérieures de civilisation médiévale de Poitiers

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Castel del Monte (Pouilles) : plan - crédits : Encyclopædia Universalis France

Castel del Monte (Pouilles) : plan

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