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ART ET CULTURE, Clement Greenberg

Autodidacte, reconnu aujourd'hui comme le critique le plus célèbre et le plus controversé de la seconde moitié du xxe siècle, Clement Greenberg (1909-1994) a publié en 1961 un ouvrage appelé à avoir un immense retentissement mais dont il faudra attendre plus d'un quart de siècle la traduction française : Art et Culture. Il s'agit de l'unique ouvrage de Greenberg disponible en français à ce jour, et pour une vue d'ensemble de son travail il faut donc se référer à l'édition complète en anglais entreprise par John O'Brian.

Art et Culture rassemble un choix de trente-sept articles écrits entre 1939 et 1960, publiés dans diverses revues (dont Partisan Review, The Nation, Art News...), parfois profondément amendés pour leur réédition. Ces articles sont regroupés en cinq sections : La Culture en général (dans lequel figure l'essai fondamental « Avant-garde et kitsch ») ; L'Art à Paris (textes sur Renoir, Léger, Picasso, Kandinsky, Chagall...) ; L'Art en général (section dans laquelle se trouvent abordées les questions de l'abstraction et de « la crise du tableau de chevalet ») ; L'Art aux États-Unis (études sur John Marin, Milton Avery, David Smith, l'« expressionnisme abstrait »...) ; et enfin une section plus réduite intitulée Littérature (T. S. Eliot, Anthony Trollope, B. Brecht, F. Kafka).

La défense de l'avant-garde contre le kitsch

L'article « Avant-garde et kitsch » a été écrit à un moment historique crucial (1939), celui de la catastrophe annoncée de la barbarie nazie, et publié dans Partisan Review, revue de la gauche intellectuelle antistalinienne marquée par le trotskisme. Clement Greenberg y soutient, dans une approche qui se veut marxiste, que la crise culturelle résulte de la situation paradoxale de l'avant-garde artistique dans la société capitaliste et du déclin de la bourgeoisie à laquelle elle reste « attachée par un cordon ombilical d'or ». Avec la révolution industrielle, qui a détruit toute culture populaire traditionnelle, les masses nouvellement urbanisées et alphabétisées, insensibles aux valeurs culturelles authentiques, sont avides d'un succédané de culture allié au divertissement, le kitsch : « Il s'agit d'un art et d'une littérature populaires et commerciaux faits de chromos, de couvertures de magazines, d'illustrations, d'images publicitaires, de littérature à bon marché, de bandes dessinées, de musique de bastringue, de danses à claquettes, de films hollywoodiens, etc. » Face à la « détérioration de la haute culture », l'indépendance de l'artiste est nécessaire pour résister à toute récupération. Greenberg propose alors une version mélancolique et pessimiste de l'avant-garde artistique : son rôle consiste moins à s'articuler à un projet politique qu'à participer, dans un rapport de continuité au passé, plutôt qu'en pratiquant la table rase, au sauvetage de la qualité devant l'invasion du kitsch, « ramassis de tous les faux-semblants de la vie de notre temps ».

Si, par certains aspects, cette inquiétude devant un art appelé à être absorbé par une société mercantile peut faire songer à la pensée d'Adorno et de Benjamin, Greenberg s'en éloigne cependant (de façon de plus en plus nette au fil des années) par une conception de « l'art pour l'art » qui se verra attaquée pour son idéalisme et son purisme formaliste. Ce « retournement » d'une analyse partie du marxisme pour aboutir à ce qui sera compris par beaucoup comme un « élitisme conservateur » suscitera de nombreux malentendus et polémiques.

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Écrit par

  • : maître de conférences en histoire de l'art contemporain, université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne

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