ART ET CULTURE, Clement Greenberg
La réduction du modernisme
Dans une opposition sans doute trop simple, Greenberg tend à assimiler le réalisme à l'univers kitsch, et l'avant-garde à l'abstraction. Le critique va mettre en relief une tendance – le modernisme – présentée comme le courant principal (mainstream), qui caractérise selon lui l'histoire de l'art depuis Manet et Cézanne jusqu'à Pollock, en passant par Picasso et Mondrian. Il s'agit pour l'artiste de manifester son indépendance en interrogeant son propre médium : « En détournant son attention du contenu de l'expérience commune, le poète ou l'artiste la dirige sur les moyens de sa pratique. » Dans « Peinture à l'américaine », Greenberg met en évidence une sorte d'essentialisme avec lequel l'irréductibilité de l'art pictural se trouve liée à la convention de la planéité. Les meilleurs artistes sont ainsi engagés dans un « processus d'auto-purification » excluant tout élément non spécifique. Une formulation plus précise du modernisme se trouve développée dans deux de ses textes les plus discutés (mais absents de Art et Culture) : « Towards a Newer Laocoon » (1940) et « Modernist Painting » (1960).
Cette esthétique de la pure visualité, qui permet de présenter une histoire cohérente et « lisse » de l'art du xxe siècle, a le mérite de prendre ses distances tant par rapport à une lecture étroitement biographique que par rapport à une lecture sociologique ou iconographique, pour focaliser l'attention sur la dimension formelle des œuvres. Mais elle se fait au prix de nombre d'exclusions et réductions : perte de la réalité corporelle du sujet percevant, exclusion de la temporalité (loin donc de la « modernité » baudelairienne), non-prise en compte des « intentions » de l'artiste, séparation des arts entre eux et discontinuité affirmée de l'art et de la vie. Nombre de démarches aussi importantes que celles de Dada, de Duchamp, du surréalisme, ou des expériences visant une synthèse des arts, se trouvent ainsi rejetées ou minorées par ce modèle unique.
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Écrit par
- Patrick de HAAS : maître de conférences en histoire de l'art contemporain, université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
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