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ART ET SCIENCE DE LA COULEUR (G. Roque)

De Michel Eugène Chevreul (1786-1889), on sait surtout qu'il est l'inventeur d'une loi, celle du contraste simultané des couleurs, qui aurait exercé une grande influence sur Seurat. Mais si le nom de Chevreul est fréquemment évoqué à propos des peintres néo-impressionnistes, rares sont ceux qui connaissent la nature exacte de ses travaux. Comme l'écrit Georges Roque dans Art et science de la couleur, Chevreul et les peintres, de Delacroix à l'abstraction (éditions Jacqueline Chambon, Paris, 1997) : « De la loi du contraste simultané fait partie de ces ouvrages qui ont acquis une énorme notoriété, sans avoir jamais été lus, ou presque, et auxquels on se réfère d'autant plus volontiers qu'on n'en connaît la teneur que par ouï-dire. » (Publié en 1839, traduit l'année suivante en allemand, l'ouvrage sera très vite épuisé.). Cela devrait déjà suffire à signaler l'importance de ce travail consacré à Chevreul et à son influence sur les peintres. Il vient combler un vide d'autant plus frappant que les études sur la couleur n'ont cessé de se multiplier ces dernières années, tant dans le domaine esthétique que scientifique. Mais là n'est pas le seul intérêt de ce livre. Son plus grand mérite est peut-être de nous permettre de saisir la nature, l'ampleur et les effets de cette mutation fondamentale qui s'est produite au xixe siècle dans l'histoire des conceptions de la couleur.

Qu'elle soit désignée comme simulacre, propriété sensible ou qualité seconde, la couleur avait été pensée depuis l'Antiquité en rapport avec le multiple et le changeant, comme une modification instable et accidentelle échappant à toute détermination et donc à l'ordre du discours. C'est ainsi qu'il était encore admis dans les académies de peinture au xixe siècle que la couleur, contrairement au dessin, ne pouvait faire l'objet d'un enseignement théorique mais seulement d'un apprentissage pratique. Comme le montre Georges Roque, la théorie de Newton constitue donc bien une véritable rupture d'un point de vue épistémologique. La découverte du caractère hétérogène et non plus homogène de la lumière détruit le paradigme aristotélicien. La couleur devient désormais objet de science. Mais à cette première rupture s'en est bientôt ajoutée une seconde, dont les effets seront considérables dans le champ esthétique : la découverte par Buffon de l'existence de couleurs n'ayant aucune réalité physique et qui naissent des modifications de la perception. Buffon avait en effet remarqué que si l'on regardait longtemps une tache rouge sur un fond blanc on voyait apparaître autour de la tache un halo vert, ce halo devenant un carré si l'œil fixait alors le blanc. À côté des couleurs naturelles qui dépendent des propriétés de la lumière, il existerait donc des couleurs purement subjectives, dépendant uniquement des conditions d'observation. Se dessine dès lors une opposition entre une approche physique de la couleur, issue des travaux de Newton, et une approche physiologique, sur laquelle Goethe puis Schopenhauer insisteront beaucoup et qui connaîtra au xixe siècle d'immenses développements. En quelques pages magistrales, Roque dessine ainsi le cadre dans lequel viendront s'inscrire les recherches de Chevreul, qui visent à concilier les observations de Buffon et la théorie de Newton : « C'est donc à la recherche d'une nouvelle explication que part Chevreul [...]. Comment rendre compte d'une manière irréfutable de ces phénomènes subjectifs de la vision des couleurs, en dépassant la seule description du phénomène ? »

La première partie du livre est consacrée à la théorie de Chevreul, exposée selon un double point de vue : historique et systématique. La manière dont l'auteur retrace[...]

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