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ART & THÉOLOGIE

L'histoire et le mystère

Entre l'espoir d'une mémoire retrouvée et la crainte de s'oublier dans les séductions propres à l'image : c'est toute l'histoire de l'art religieux qui pourrait se raconter à partir de cette grande oscillation inquiète. Les peintres de la Renaissance faisaient-ils autre chose qu'enraciner un culte légitime à peindre de si beaux Saint Sébastien ? ces corps impassibles et rayonnants malgré l'atteinte des flèches païennes ? Mais les corps ont été si impassibles, si rayonnants et si beaux que les dévotes tombaient en d'étranges pâmoisons : le culte avait donc, imperceptiblement dans l'image, versé dans « autre chose », et l'Église, bien sûr, s'inquiétait. Quand d'autre part on représente la Trinité par trois corps plus ou moins distincts – et induits comme tels dans l'imaginaire dévot –, n'est-ce pas, malgré tout, produire une image polythéiste ?

Il y a en toute image une structure de déni. L'opposition entre la mimèsis diabolique (leurre, « ressemblance d'égalité » c'est-à-dire de substitution fétichique) et l'imitatio Christi (stigmate, « ressemblance d'humilité » c'est-à-dire d'obsession pénitentielle) – cette opposition constitue peut-être, de la part des théologiens, un impératif aussi abstrait que catégorique. Dans la réalité, elle ne produit souvent qu'une dialectique immaîtrisable entre le drame corporel de l'incarnation et les séductions impérieuses de ce qu'on pourrait nommer l'incarnat : car la chair ni l'image ne se savent « partager » clairement entre un bien et un mal, un désir et un autre.

Cela revient à dire qu'il suffit de fort peu dans une image – un « fort peu », répétons-le, immaîtrisable – pour que l'idole fasse retour dans l'icône, et cela malgré ou à travers la (bonne) foi de l'icône elle-même. Comment discerner dans l'image fascination et contemplation, leurre et apparition ? N'est-ce pas en tous les cas que l'image impose sa loi ? Prodigieux phénoménologues (saint Augustin en tête), les théologiens n'auront jamais été dupes d'un tel « péril » dans l'image, fût-elle icône, fût-elle portée aux plus hautes vénérations. Ils ne se sont jamais satisfaits de l'alibi idéal de l'art, parce qu'ils étaient attentifs aux pouvoirs propres de la matière, et parce qu'ils constataient – en général avec horreur – l'extrême efficacité des images, une efficacité toujours difficile à canaliser, à faire signifier clairement. C'est pourquoi l'histoire des rapports entre l'art et la théologie ne se raconte qu'à travers une longue série de crises, entrecoupées par l'accalmie des non-dits et des compromis.

Ce n'est pas ici le lieu de raconter la très longue et très complexe histoire de ces crises. Rappelons seulement qu'en Orient byzantin, depuis le ive siècle, la croix recevait un culte dit « relatif », et les images acheiropoïètes envahissaient les églises – Héraclius s'en servit, dit-on, comme « arme » apotropaïque dans ses expéditions contre les Perses –, lorsque Léon l'Isaurien déclencha, en 725, la grande « querelle des images » qui ensanglanta littéralement l'Empire chrétien d'Orient pendant des décennies. Ce n'est qu'en 787 que le second concile de Nicée réaffirma solennellement le culte de l'icône, « sainte et vénérable », l'icône considérée comme « mémorial de l'incarnation » et surface d'impression du prototype divin lui-même.

Peu de temps après (790), Charlemagne en personne faisait éclore un autre grand imbroglio théologico-politique, refusant les conclusions du concile de Nicée, refusant aux images toute vénération,[...]

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Catherine de Sienne - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

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