FIGURATIF ART
Langage, écriture et figuration
Il ne fait pourtant guère de doute que les plus anciennes œuvres de l'art figuratif résultent de conventions organisées par le langage. L'apparition du graphisme, voici quelque trente-cinq millénaires, signe celle de l'homo sapiens. Les toutes premières figurations connues, schématiques à l'extrême et abstraites, sont la marque de rapports originaux entre les motricités techniques et verbales. Les traces les plus lointaines du symbolisme graphique exhibent le plus souvent une distribution rythmique de signes. Il est tentant d'y voir plutôt que de douteuses « marques de chasse », la transposition symbolique de rythmes techniques, en acte dans la fabrication des outils et le traitement de la matière, sinon le schéma mnémonique d'un cérémonial figuratif. Ce sont en effet des rythmes qui sont d'abord représentés avant les formes les plus pauvres où l'on puisse reconnaître le commencement du réalisme figuratif. Les premières images, telles qu'elles apparaissent aux environs de 30 000 ans avant notre ère, se réduisent à un petit nombre de stéréotypes où quelques détails signifiants permettent, avec plus ou moins de bonheur, d'identifier l'objet figuré. L'affinité formelle des premiers essais de figuration avec certains systèmes d'écriture atteste leur relation au langage ; celle-ci ne fera que se diversifier et se compliquer à mesure que croîtra l'habileté technique du graveur et du peintre, cependant que se succéderont et se superposeront les styles.
Le rapport que soutient l'art au langage et à la pensée discursive ne se complique peut-être jamais tant qu'à l'époque maniériste, lorsque les œuvres ne sont déchiffrables qu'à la faveur d'une docte herméneutique. Dans maintes compositions apologétiques, des programmes sophistiqués, dus à de beaux esprits, nourrissent la figuration. Il arrive que l'œuvre, supportant plusieurs interprétations concurrentes, étouffe dans son développement discursif l'idée même qui l'avait motivée. Certaines imageries de fastes et de triomphes, conçues pour célébrer des noces princières ou des entrées de souverains, furent d'une telle complication qu'elles devenaient incompréhensibles à qui n'en possédait pas la clé thématique. Comme l'écrivit R. Klein, « la perfection de l'art était ainsi placée dans une idée, non seulement abstraite, mais muette et cachée, et même restée, le cas échéant, à l'état de simple sous-entendu ». Cette contention, qui subordonne le sensible au développement complexe d'une idée, se révèle par une frénésie d'agencement formel ; ce par quoi la forme accueille des ambiguïtés sémantiques. Le contour subtilement adultéré conduit l'œil à l'illusion consentie d'un double sens dont l'un éclaire l'autre selon le point de vue choisi. Ce qui est le propre des figures arcimboldesques construites comme un calembour plastique ; alors la combinaison ingénieuse des parties dans le tout, identifiables sur deux registres, domine dans l'espace de l'artifice la disposition naturelle aux illusions figure-fond. La duplicité structurale des formes plastiques répond à la polysémie des homophonies, où la signification d'un même segment verbal est déterminée par le contexte. Ici encore, dans ce moment singulier de l'art maniériste, on voit la figuration plastique mimer les procédés du langage en lui empruntant le schème structural du calembour.
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Écrit par
- Jacques GUILLERME : chargé de recherche au C.N.R.S.
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